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DE LAUSANNE.

teint, je ne sais quoi de satiné, de brillant que lui donne souvent une légère transpiration : c’est le contraire du mat, du terne ; c’est le satiné de la fleur rouge des pois odoriférants. Voilà bien à présent ma Cécile. Si vous ne la reconnaissiez pas en la rencontrant dans la rue, ce serait votre faute. Pourquoi, dites-vous, un gros cou ? C’est une maladie de ce pays, un épaississement de la lymphe, un engorgement dans les glandes, dont on n’a pu rendre raison jusqu’ici. On l’a attribué longtemps aux eaux trop froides, ou charriant du tuf ; mais Cécile n’a jamais bu que de l’eau panée ou des eaux minérales. Il faut que cela vienne de l’air ; peut-être du souffle froid de certains vents, qui font cesser quelquefois tout-à-coup la plus grande chaleur. On n’a point de goîtres sur les montagnes ; mais, à mesure que les vallées sont plus étroites et plus profondes, on en voit davantage et de plus gros. Ils abondent surtout dans les endroits où l’on voit le plus d’imbéciles et d’écrouelleux. On y a trouvé des remèdes, mais point encore de préservatifs, et il ne me paraît pas décidé que les remèdes emportent entièrement le mal et soient sans inconvénient pour la santé. Je redoublerai de soin pour que Cécile soit toujours garantie du froid de l’air du soir, et je ne ferai pas autre chose ; mais je voudrais que le souverain promît des prix à ceux qui découvriraient la nature de cette difformité, et qui indiqueraient les meilleurs moyens de s’en préserver. Vous me demandez comment il arrive qu’on se marie quand on n’a à mettre ensemble que trente-huit mille francs, et vous êtes étonnée qu’étant fille unique je ne sois pas plus riche. La question est étrange. On se marie, parce qu’on est un homme et une femme, et qu’on se plaît ; mais laissons cela, je vous ferai l’histoire de ma fortune. Mon grand-père, comme vous le savez, vint du Languedoc avec rien ; il vécut d’une pension que lui faisait le vôtre, et d’une autre qu’il recevait de la cour d’Angleterre.