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DE LAUSANNE.

loto. Le jeune Anglais est en homme ce que ma fille est en femme, c’est un aussi joli villageois anglais que Cécile est une belle villageoise du pays de Vaud. Il ne brilla pas aux jeux d’esprit, mais Cécile eut bien plus d’indulgence pour son mauvais français que pour le fade bel esprit de son cousin, ou, pour mieux dire, elle ne prit point garde à celui-ci ; elle s’était faite la gouvernante et l’interprète de l’autre. À colin-maillard vous jugez bien qu’il n’y eut point de comparaison entre leur adresse ; au loto, l’un était économe et attentif, l’autre distrait et magnifique. Quand il fut question de s’en aller : Jeannot, dit la mère, tu ramèneras la Cécile ; mais il fait froid, mets ta redingote, boutonne-la bien. La tante lui apporta des galoches. Pendant qu’il se boutonnait comme un porte-manteau, et semblait se préparer à un voyage de long cours, le jeune Anglais monte l’escalier quatre à quatre, revient comme un trait avec son chapeau, et offre la main à Cécile. Je ne pus pas m’empêcher de rire, et je dis au cousin qu’il pouvait se désemmaillotter. Si auparavant son sort auprès de Cécile eût été douteux, ce moment le décidait. Quoiqu’il soit fils unique de riches parents, et qu’il doive hériter de cinq ou six tantes, Cécile n’épousera pas son cousin le ministre ; ce serait Agnès et le corps mort : mais, au lieu de ressusciter, il pourrait devenir plus mort. Ce corps mort a un ami très vivant, ministre aussi, qui est devenu amoureux de Cécile pour l’avoir vue deux ou trois fois chez la mère de son ami. C’est un jeune homme de la vallée du lac de Joux, beau, blond, robuste, qui fait fort bien dix lieues par jour, qui chasse plus qu’il n’étudie, et qui va tous les dimanches prêcher à son annexe, à une lieue de chez lui ; en été sans parasol, et en hiver sans redingote ni galoches : il porterait au besoin son pédant petit ami sur le bras. Si ce mari convenait à ma fille, j’irais de grand cœur vivre avec eux dans une cure de montagne ; mais il n’a que sa paye