Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/78

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cause générale de la société. Si cela est, ne me trouvez-vous pas bien excusable ? Ne permettrez-vous pas aux Hollandais de sentir plus vivement les inconvénients qu’aurait pour eux la navigation libre de l’Escaut, que les arguments de leur adversaire en faveur du droit de toutes les nations sur toutes les rivières ? Vous me faites souvenir que cette Cécile, pour qui je voudrais créer une monarchie d’une espèce toute nouvelle, ne serait que de la seconde classe, si cette monarchie avait été créée avant nous, puisque mon père serait devenu de la classe de sa femme et mon mari de la mienne. Je vous remercie de m’avoir répondu si gravement. C’est plus d’honneur, je ne dirai pas que je ne mérite, mais que je n’espérais. Adieu, mon cousin. Je retourne à votre femme.

Vous êtes enchantée de Cécile, et vous avez bien raison. Vous me demandez comment j’ai fait pour la rendre si robuste, pour la conserver si fraîche et si saine. Je l’ai toujours eue auprès de moi : elle a toujours couché dans ma chambre, et, quand il faisait froid, dans mon lit. Je l’aime uniquement : cela rend bien clairvoyante et bien attentive. Vous me demandez si elle n’a jamais été malade. Vous savez qu’elle a eu la petite-vérole. Je voulais la faire inoculer, mais je fus prévenue par la maladie ; elle fut longue et violente. Cécile est sujette à de grands maux de tête : elle a eu tous les hivers des engelures aux pieds qui la forcent quelquefois à garder le lit. J’ai encore mieux aimé cela que de l’empêcher de courir dans la neige, et de se chauffer ensuite quand elle avait bien froid. Pour ses mains, j’avais si peur de les voir devenir laides, que je suis venue à bout de les garantir. Vous demandez comment je l’ai élevée. Je n’ai jamais eu d’autre domestique qu’une fille élevée chez ma grand’mère, et qui a servi ma mère. C’est auprès d’elle, dans son village, chez sa nièce, que je la laissai quand je passai quinze jours avec vous à Lyon, et lorsque j’allai vous voir chez notre vieille tante.