Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/85

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en ait bien d’autres, parce que je ne veux pas le nommer, et je ne veux pas le nommer, par la même raison qui fait que je ne me signe pas et que je ne nomme personne ; les accidents qui peuvent arriver aux lettres me font toujours peur). Le parent de Milord est triste. Je ne sais si c’est pour avoir éprouvé des malheurs, ou par une disposition naturelle. Il demeure à deux pas de chez moi : il se met à y venir tous les jours ; et, assis au coin du feu, caressant mon chien, lisant la gazette ou quelque journal, il me laisse régler mon ménage, écrire mes lettres, diriger l’ouvrage de Cécile. Il corrigera, dit-il, ses thèmes quand elle en pourra faire, et lui fera lire la gazette anglaise pour l’accoutumer au langage vulgaire et familier. Faut-il le renvoyer ? Ne m’est-il pas permis, en lui laissant voir ce que sont du matin au soir la fille et la mère, de l’engager à favoriser un établissement brillant et agréable pour ma fille, de l’obliger à dire du bien de nous au père et à la mère du jeune homme ? Faut-il que j’écarte ce qui pourrait donner à Cécile l’homme qui lui plaît ? Je ne veux pas dire encore l’homme qu’elle aime. Elle aura bientôt dix-huit ans. La nature peut-être plus que le cœur… dira-t-on de la première femme vers laquelle un jeune homme se sentira entraîné, qu’elle en soit aimée ?

Vous voudriez que je fisse apprendre la chimie à Cécile, parce qu’en France toutes les jeunes filles l’apprennent. Cette raison ne me paraît pas concluante ; mais Cécile, qui en entend parler autour d’elle assez souvent, lira là-dessus ce qu’elle voudra. Quant à moi, je n’aime pas la chimie. Je sais que nous devons aux chimistes beaucoup de découvertes et d’inventions utiles, et beaucoup de choses agréables ; mais leurs opérations ne me font aucun plaisir. Je considère la nature en amant ; ils l’étudient en anatomistes.