Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lement à tous, impose aux hommes d’autres lois qui ne sont peut-être pas d’une observation plus facile. Elle exige d’eux, dans le désordre même, de la retenue, de la délicatesse, de la discrétion, du courage ; et, s’ils oublient ces lois, ils sont déshonorés, on les fuit, on craint leur approche, ils trouvent partout un accueil qui leur dit : On vous avait donné assez de priviléges, vous ne vous en êtes pas contentés ; la société effraiera, par votre exemple, ceux qui seraient tentés de vous imiter, et qui, en vous imitant, troubleraient tout, renverseraient tout, ôteraient du monde toute sécurité, toute confiance. Et ces hommes, punis plus rigoureusement que ne le sont jamais les femmes, n’ont été coupables bien souvent que d’imprudence, de faiblesse ou d’un moment de frénésie ; car les vicieux déterminés, les véritables méchants sont aussi rares que les hommes parfaits et les femmes parfaites. On ne voit guère tout cela que dans les fictions mal imaginées. Je ne trouve pas, je le répète, que la condition des hommes soit, même à cet égard, si extrêmement différente de celle des femmes. Et puis, combien d’autres obligations pénibles la société ne leur impose-t-elle pas ! Croyez-vous, par exemple, que, si la guerre se déclare, il soit bien agréable à votre cousin de nous quitter au mois de mars pour aller s’exposer à être tué ou estropié, à prendre, couché sur la terre humide et vivant parmi des prisonniers malades, les germes d’une maladie dont il ne guérira peut-être jamais ? — Mais, maman, c’est son devoir, c’est sa profession ; il se l’est choisie. Il est payé pour tout ce que vous venez de dire ; et, s’il se distingue, il acquiert de l’honneur, de la gloire même. Il sera avancé, on l’honorera partout où il ira, en Hollande, en France, en Suisse et chez les ennemis mêmes qu’il aura combattus. — Eh bien ! Cécile, c’est le devoir, c’est la profession de toute femme que d’être sage. Elle ne se l’est pas choisie, mais la plupart des hommes