Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/124

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fait une enveloppe à la lettre et a écrit en dedans : « La réponse est bonne, monsieur, et je vous en remercie. Cécile de ***. »

la lettre envoyée, ma fille m’a donné mon ouvrage et a pris le sien. — Vous m’avez demandé, maman, m’a-t-elle dit, si je me consolerais de ne pas me marier. Il me semble que ce serait selon le genre de vie que je pourrais mener. J’ai pensé déjà plusieurs fois que, si je n’avais rien à faire que d’être une demoiselle au milieu de gens qui auraient des maris, des amants, des femmes, des maîtresses, des enfants, je pourrais trouver cela bien triste, et convoiter quelquefois, comme vous disiez l’autre jour, le mari ou l’amant de mon prochain ; mais, si vous trouviez bon que nous allassions en Hollande ou en Angleterre tenir une boutique ou établir une pension, je crois qu’étant toujours avec vous et occupée, et n’ayant pas le temps d’aller dans le monde ni de lire des romans, je ne convoiterais et ne regretterais rien, et que ma vie pourrait être très douce. Ce qui manquerait à la réalité, je l’aurais en espérance. Je me flatterais de devenir assez riche pour acheter une maison entourée d’un champ, d’un verger, d’un jardin, entre Lausanne et Rolle, ou bien entre Vevey et Villeneuve, et d’y passer avec vous le reste de ma vie. — Cela serait bon, lui ai-je dit, si nous étions sœurs jumelles ; mais, Cécile, je vous remercie : votre projet me plaît et me touche. S’il était encore plus raisonnable, il me toucherait moins. — On meurt à tout âge, a-t-elle dit, et peut-être aurez-vous l’ennui de me survivre. — Oui, lui ai-je répondu ; mais il est un âge où l’on ne peut plus vivre, et cet âge viendra dix-neuf ans plus tôt pour moi que pour vous. Nos paroles ont fini là, mais non pas nos pensées. Six heures ont sonné, et nous sommes sorties, car nous ne passons plus de soirées à la maison, à moins que nous n’ayons véritablement du monde, c’est-à-dire des femmes aussi bien que des hommes. Jamais