Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/198

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à aller dans le monde, lui disant qu’une retraite absolue lui donnerait l’air de s’être attiré la disgrâce de son mari, et que lui-même jugerait d’elle plus favorablement s’il apprenait qu’elle osait se montrer et qu’elle était partout bien reçue. C’en était trop que toutes ces différentes fatigues pour une personne dont la santé, après avoir reçu une secousse violente, était sans cesse minée par le chagrin (qu’on me pardonne de le dire avec une espèce d’orgueil que je paie assez cher), par le chagrin, par le regret continuel de vivre sans moi. Ses lettres, toujours remplies du sentiment le plus tendre, ne me laissaient aucun doute sur l’invariable constance de son attachement. Vers le printemps elle m’en écrivit une qui me fit en même temps un grand plaisir et la peine la plus sensible. « Je fus hier à la comédie, me disait-elle ; je m’étais assuré une place dans la même loge du mois de septembre. Je crois que mon bon ange habite cet endroit-là. A peine étais-je assise que j’entends une jeune voix s’écrier : Ah ! voici ma chère mistriss Calista ! Mais combien elle a maigri ! Voyez-la à présent, monsieur. Votre fils ne vous a jamais mené chez elle, mais vous pouvez la voir à présent. Celui à qui il parlait était votre père. Il me salua avec un air qu’il ne faut pas que je cherche à vous peindre, si je veux que mes yeux me servent à écrire ; aussi bien serait-il difficile de vous rendre tout ce que sa physionomie me dit d’honnête, de tendre et de triste. — Mais qu’avez-vous fait pour être si maigre ? Me dit sir Harry. — Tant de choses, mon ami ! lui dis-je. Mais vous, vous avez grandi, vous avez l’air d’avoir été toujours bien sage et bien heureux. — Je suis pourtant extrêmement fâché, m’a-t-il répondu, de n’être pas avec notre ami en Italie, et il me semble que j’avais plus de droit d’être avec lui que son cousin ; mais j’ai toujours soupçonné maman de ne l’avoir pas voulu, car ce fut aussi elle qui voulut absolument que l’on me mît à West-