Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/226

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il est parti par ennui, par amour, par coup de tête, comme il partira bien des fois dans la suite et dans des situations plus décisives. Des pensées de suicide l’assiègent, et il ne se tuera pas ; des projets d’émigration en Amérique le tentent, et il n’émigrera pas. Tout cela vient aboutir à de jolies lettres à madame de Charrière, à des lettres pleines déjà de saillie, de persiflage, de moquerie de soi-même et des autres. Puis, au retour en Suisse, pauvre pigeon blessé et traînant l’aile, assez mal reçu de sa famille pour son équipée, il va se refaire chez son indulgente amie à Colombier près de Neuchâtel ; il passe là six semaines ou deux mois de repos, de gaieté, de félicité presque ; il s’en souviendra longtemps, il en parlera avec reconnaissance, avec une sorte de tendresse qui ne lui est pas familière. Voilà le premier acte terminé.

Le second s’ouvre à Brunswick, à cette petite cour où sa famille l’a fait placer en qualité de gentilhomme ordinaire ou plutôt fort extraordinaire, nous dit-il ; il y arrive en mars 1788, il y réside durant ces premières années de la révolution ; il s’y ennuie, il s’y marie, il travaille à son divorce, qu’il finit par obtenir (mars 1793) ; il s’est livré dans l’intervalle à toutes sortes de distractions et à un imbroglio d’intrigues galantes pour se dédommager de son inaction politique, qui commence à lui peser en face de si grands événements. Placé au foyer de l’émigration et de la coalition, il est réputé quelque peu aristocrate par ses amis de France qui l’ont perdu de vue, et tant soit peu jacobin par ceux qui le jugent de plus près et croient le connaître mieux ; mais il nous apparaît déjà ce qu’il sera toujours au fond, un girondin de nature, inconséquent, généreux, avec de nobles essors trop vite brisés, avec un secret mépris des hommes et une expérience anticipée qui ne lui interdisent pourtant pas de chercher encore une belle cause pour ses talents et son éloquence.