Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/23

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parents ; et il n’est pas bien étonnant qu’ils ne fassent pas de grandes façons les uns avec les autres, et s’habillent comme je les ai vus dans le temps des vendanges, lorsque leurs gros souliers, leurs bas de laine et leurs mouchoirs de soie autour du cou m’ont si fort frappé.


Meyer est invité à un concert, peu de jours après l’aventure de la robe, qui a bien du côté de la petite tailleuse quelques légères conséquences, reprises ou déchirures, qui de reste se retrouveront ; mais il n’y attache, pour le moment, que peu d’importance. Pourtant, lorsqu’il a entendu annoncer au concert mademoiselle Marianne de La Prise, cette belle demoiselle dont tout le monde dit du bien, et à qui la robe était destinée ; quand il voit monter à l’orchestre cette jeune personne, assez grande, fort mince, très bien mise, quoique fort simplement ; quand il reconnaît cette même robe qu’il a un jour relevée du pavé le plus délicatement qu’il a pu ; quoiqu’il n’y ait rien à tout cela qui doive lui sembler bien imprévu, il se trouble. Elle devait chanter à côté de lui, il devait l’accompagner : tout est oublié ; il la regarde marcher et s’arrêter et prendre sa musique :


« Je la regardais avec un air si extraordinaire, à ce que l’on m’a dit depuis, que je ne doute pas que ce ne fût cela qui la fit rougir, car je la vis rougir jusqu’aux yeux. Elle laissa tomber sa musique, sans que j’eusse l’esprit de la relever ; et, quand il fut question de prendre mon violon, il fallut que mon voisin me tirât par la manche. Jamais je n’ai été si sot, ni si fâché de l’avoir été : je rougis toutes les fois que j’y pense, et je t’aurais écrit le soir même mon chagrin, s’il n’eût mieux valu employer une heure qui me resta entre le concert et le départ du courrier, à aider à nos messieurs à expédier nos lettres. »