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NOTICE.

ne saurais être malheureuse. Ma mère a beau gronder depuis ce jour-là, cela ne trouble pas ma joie. Mes amies ne me paraissent plus maussades : vois-tu, je dis mes amies, mais c’est par pure surabondance de bienveillance ; car je n’ai d’amie que toi. Je te préfère à M. Meyer lui-même, et, si tu étais ici et qu’il te plût, je te le céderais. Ne va pas croire que nous nous soyons encore parlé ; je ne l’ai pas même revu depuis le concert. Mais j’espère qu’il viendra à la première assemblée : nos dames, sans que je les en prie, me feront bien la galanterie de l’y inviter. Alors nous nous parlerons sûrement, dussé-je lui parler la première. Je me trouverai près de la porte, quand il entrera. Alors aussi se décidera la question : savoir, si M. Meyer sera l’âme de la vie entière de ton amie, ou si je n’aurai fait qu’un petit rêve agréable, qui m’aura amusée pendant un mois ; ce sera l’un ou l’autre, et quelques moments décideront lequel des deux. Adieu, mon Eugénie ! mon père est plus content de moi que jamais ; il me trouve charmante : il dit qu’il n’y a rien d’égal à sa fille, et qu’il ne la troquerait pas contre les meilleures jambes du monde. Tu vois que ma folie est du moins bonne à quelque chose. Adieu. »


Cette amante si résolue, c’est la même qui écrit à son amie, qu’on veut marier là-bas, cette autre page toute pleine de capricieux conseils, d’exquises et gracieuses finesses :


« Tous tes détails à toi sont charmants ; tu n’aimeras, tu n’aimeras jamais l’homme qu’on te destine, c’est-à-dire tu ne l’aimeras jamais beaucoup. Si tu ne l’épouses pas, tu pourras en épouser un autre. Si tu l’épouses, vous aurez de la complaisance l’un pour l’autre, vous vous serez une société agréable. Peut-être tu n’exigeras pas que tous ses regards soient pour toi, ni tous les tiens pour