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NOTICE.

bre, ils s’écrivaient de leur lit des lettres qui n’en finissaient pas, et la conversation se faisait de la sorte ; c’était un message perpétuel d’une chambre à l’autre ; cela leur semblait plus facile que de se lever, étant tous deux très paresseux, très spirituels et très écriveurs. Près d’un esprit si fin, si ferme et si hardiment sceptique en mille points, le jeune Constant aiguisa encore le sien. Dans ce tête-à-tête des matinées de Colombier, discutant et peut-être déjà doutant de tout, il en put venir, dès le premier pas, à ce grand principe de dérision qu’il exprimait ainsi : Qu’une vérité n’est complète que quand on y a fait entrer le contraire[1]. Madame de Charrière, dans ses hardiesses du moins, avait des points fixes, des portions morales élevées où elle tenait bon. Elle put souffrir de n’en pas trouver ailleurs de correspondantes. Plus tard, quand Benjamin Constant fut lancé sur une scène toute différente, et qu’elle l’allait rappeler au passé, il répondait peu. Il parlait d’elle légèrement, dit-on, comme un homme qui a quitté un drapeau et aspire à servir sous quelque autre. Il se plaignait que les lettres qu’il recevait d’elle étaient pleines d’errata sur les ouvrages qu’elle avait publiés, et semblait croire que l’infidélité des imprimeurs l’occupait encore plus que la sienne. » Voilà le sort qui menace les femmes auteurs ; on croit toujours que les affections tiennent chez elles la seconde place. — C’est un moraliste profond et femme qui a dit cela.

Madame de Charrière connut madame de Staël ; elles correspondirent ; on m’a parlé d’une controverse considérable entre elles, précisément sur ces points litigieux, chers aux femmes, qui se retrouvent discutés dans plusieurs lettres de Delphine, et sur lesquels nous allons avoir le mot direct de madame de Charrière elle-même. Dans cette correspondance, madame de Charrière devait plutôt

  1. Il disait encore, par manière de variante, que sur toute question il avait toujours une idée de plus qui dérangeait tout.