Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/81

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et gaieté. L’esprit rempli de ce que vous m’aviez écrit, les larmes me sont venues aux yeux ; elle s’est mise à jouer du clavecin pour m’égayer. Je l’ai envoyée à l’autre extrémité de la ville ; elle est allée et revenue sans souffrir, quoiqu’il fasse très froid. Des visites ennuyeuses sont venues ; elle a été douce, obligeante et gaie. Le petit lord l’a priée d’accepter un billet de concert ; son offre lui a fait plaisir, et, sur un regard de moi, elle a refusé de bonne grâce. Je vais me coucher tranquille. Je ne croirai point l’avoir mal élevée. Je ne me ferai point de reproches. L’impression de votre lettre est presque effacée. Si ma fille est malheureuse, je serai malheureuse ; mais je n’accuserai point le cœur tendre d’une mère dévouée à son enfant. Je n’accuserai point non plus ma fille ; j’accuserai la société, le sort ; ou bien je n’accuserai point, je ne me plaindrai point, je me soumettrai en silence avec patience et courage. Ne me faites point d’excuses de votre lettre, oublions-la. Je sais bien que vous n’avez pas voulu me faire de la peine : vous avez cru consulter un livre ou interroger un auteur. Demain je reprendrai celle-ci avec un esprit plus tranquille.

Votre mari ne veut pas que je me plaigne des étrangers qu’il y a à Lausanne, disant que le nombre des gens à qui ils font du bien est plus grand que celui des gens à qui ils nuisent. Cela se peut, et je ne me plains pas. Outre cette raison généreuse et réfléchie, l’habitude nous rend ce concours d’étrangers assez agréable. Cela est plus riant et plus gai. Il semble aussi que ce soit un hommage que l’univers rende à notre charmant pays ; et, au lieu de lui, qui n’a point d’amour-propre, nous recevons cet hommage avec orgueil. D’ailleurs, qui sait si en secret toutes les filles ne voient pas un mari, toutes les mères un gendre dans chaque carrosse qui arrive ? Cécile a un nouvel adorateur qui n’est point venu de Paris ni de Londres. C’est le fils de notre baillif, un beau jeune Bernois,