Page:Charron - De la sagesse, Lefèvre, 1836.djvu/45

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adjacentes au dehors ; offices, dignitez, richesses, noblesse, grace, et applaudissement des grands ou du peuple. Ny par ses desportemens faicts en public : car comme, estant en eschec, l’on se tient sur ses gardes, se retient, se contrainct ; la crainte, la honte, l’ambition, et autres passions, luy font jouer ce personnage que vous voyez. Pour le bien cognoistre il le faut voir en son privé, et en son à-tous-les-jours. Il est bien souvent tout autre en la maison, qu’en la rue, au palais, en la place ; autre avec ses domestiques qu’avec les estrangers. Sortant de la maison pour aller en public, il va jouer une farce : ne vous arrestez pas là ; ce n’est pas luy, c’est tout un autre ; vous ne le cognoistriez pas. La cognoissance de soy ne s’acquiert point par tous ces quatre moyens, et ne devons nous y fier ; mais par un vray, long et assidu estude de soy, une sérieuse et attentifve examination non-seulement de ses paroles et actions, mais de ses pensées plus secrettes (leur naissance, progrez, durée, repetition), de tout ce qui se remue en soy, jusques aux songes de nuict, en s’espiant de près, en se tastant souvent et à toute heure, pressant et pinçant jusques au vif. Car il y a plusieurs vices en nous cachez, et ne se sentent à faute de force et de moyen, ainsi que le serpent venimeux qui, engourdi de froid, se laisse manier sans danger. Et puis il ne suffist pas de recognoistre sa faute en destail et en individu, et tascher de la reparer ; il faut en general recognoistre sa foiblesse, sa misere, et en venir à une reformation et amendement universel. Or, il nous faut estudier serieusement en ce livre premier à cognoistre l’homme, le prenant en tout sens, le regardant à tous visages, lui tastant le poux, le sondant jusques au vif, entrant dedans avec la chandelle et l’esprouvette, fouillant et furettant par tous les trous, coings, recoings, destours,