et s’il en manque un par nature, l’on ne le
sçauroit trouver à dire. L’homme né aveugle
ne sçauroit jamais concevoir qu’il ne voit pas,
ny desirer de voir ou regretter la veue. Il dira
bien peust-estre qu’il voudra voyr : mais cela
vient qu’il a ouy dire ou apprins d’autruy qu’il
a à dire
[1] quelque chose : la raison est que les
sens sont les premieres portes et entrées à la
cognoissance. Ainsi l’homme ne pouvant imaginer
plus que les cinq qu’il a, il ne sçauroit
deviner s’il y en a davantage en nature : mais
il y en peust avoir. Qui sçait si les difficultés
que nous trouvons en plusieurs ouvrages de
nature, et les effects des animaux, que nous
ne pouvons entendre, viennent du defaut de
quelque sens
[2] que nous n’avons pas ? Les
proprietés occultes, que nous appellons, en
plusieurs choses. Il se peust dire qu’il y a des
facultés sensitives en nature, propres à les juger
et appercevoir, mais que nous ne les avons
pas, et que l’ignorance de telles choses vient
de nostre defaut. Qui sçait si c’est quelque sens
particulier qui descouvre aux coqs l’heure de
minuit et du matin, et les esmeut à chanter,
qui achemine les bestes à prendre certaines
herbes à leur guarison, et tant d’autres choses
comme cela ? Personne ne sçauroit dire qu’ouy,
ny que non.
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DE LA SAGESSE,