cerf tient le premier lieu, et en la veue l’aigle, au fleurer le chien, au goust le singe, en l’attouchement la tortue : toutesfois la preeminence de l’attouchement
est donnée à l’homme, qui est de tous les sens
le plus brutal. Or, si les sens sont les moyens
de parvenir à la cognoissance, et les bestes y
ont part, voire quelquesfois la meilleure,
pourquoy n’auront-elles cognoissance ?
Mais les sens ne sont pas seuls outils de la cognoissance, ny les nostres mesmes ne sont pas seuls à consulter et croire ; car si les bestes par leurs sens jugent autrement des choses que nous par les nostres, comme elles font, qui en sera creu ? Nostre salive nettoye et desseiche nos playes, elle tue aussi le serpent [1] : qui sera la vraye qualité de la salive ? Desseicher, et nettoyer ou tuer ? Pour bien juger des operations des sens, il faut estre d’accord avec les bestes, mais bien avec nous-mesmes ; nostre œil pressé et serré voyt autrement qu’en son estat ordinaire ; l’ouye resserrée reçoit les objects autrement que ne l’estant ; autrement void, oyt [2], gouste un enfant, qu’un homme faict ; et cestuy-ci qu’un vieillard ; un sain qu’un malade ; un sage qu’un fol. En une si grande diversité et contrarieté, que faut-il tenir pour