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LIVRE I, CHAPITRE XIV.


Mais soi-mesme, ou point selon aucuns (tesmoin une si grande et presqu’infinie diversité d’opinions d’iceluy, comme s’est veu cy-dessus, des doubtes et objections qui croissent tous les jours) ou bien sombrement, imparfaictement et indirectement par reflexion de la cognoissance des choses à soi-mesme, par laquelle il sent et cognoist qu’il entend, et a puissance et faculté d’entendre, c’est la maniere que les esprits se cognoissent. Le premier souverain esprit, Dieu, se cognoist premier, et puis en soy toutes choses ; le dernier humain tout au rebours, toutes autres choses plustost que soy, et en icelles, comme l’œil en un miroir : comment pourroit-il agir en soy sans moyen et en droit te ligne ?

Mais la question est du moyen par lequel il cognoist et entend les choses. La plus commune opinion venue d’Aristote, est que l’esprit cognoist et entend par le ministere des sens, que de soy il est comme une carte blanche et vuide, qu’il ne luy arrive rien qui ne soit passé par les sens, nil est in intellectu, quod non fuerit in sensu [1]. Mais elle est premièrement fausse ; car, comme tous les sages ont dict, ainsi qu’il a esté

  1. « Il n’y a rien dans intellect ( l’esprit ), qui n’y soit arrivé par les sens. — Cette importante opinion d’Aristote, qui ne paraît pas avoir prévu toutes les conséquences qu’on en pouvait tirer, est devenu la base de tous les systèmes modernes d’idéologie. »