muns, esprits bien nés,
forts et vigoureux : de ceux icy ne s’en pourroit
bastir en tous les siecles une republique
entiere. En celle du milieu sont tous les mediocres,
qui sont en infinité de degrés : de
ceux-cy est composé presque tout le monde
(de cette distinction et autres cy-après plus au
long). Mais il nous faut toucher plus particulierement
les conditions et le naturel de cest
esprit, autant difficile à cognoistre, comme
un visage à peindre au vif, lequel sans cesse
se remueroit.
Premierement c’est un agent perpetuel ; l’esprit ne peust estre sans agir : il se forge plustost des subjects faux et fantastiques, se pippant [1] à son escient, et allant contre sa propre creance, que d’estre sans agir. Comme les terres oisives, si elles sont grasses et fertiles, foisonnent en mille sortes d’herbes sauvages et inutiles, et les faut assubjectir à certaines semences ; et les femmes seules produisent des amas et pieces de chair informes ; ainsi l’esprit, si l’on ne l’occupe à certain subject, il se desbande et se jette dedans le vague des imaginations, et n’est folie ny resverie qu’il ne produise : s’il n’a de but estably, il se perd et s’esgare ; car estre par-tout, c’est n’estre en aucun lieu : l’agitation est vrayement la vie de l’esprit et sa grace ; mais elle doibt venir d’ailleurs que de soy : s’il va tout seul, il ne faict que traisner et languir, et ne
- ↑ Se trompant sciement.