beaux deniers comptans chez autruy ; tellement
que, pour bien satisfaire à ceste opinion,
faut entrer en grande despense, de laquelle
nature, si nous la voulions croire, nous
deschargeroit volontiers. Est-ce pas volontairement
et tout publiquement trahir la raison, forcer
et corrompre la nature, prostituer sa virilité,
et se mocquer du monde et de soy-mesme,
pour s’asservir au vulgaire, qui ne produict
qu’erreur, et n’estime rien qui ne soit fardé
et desguisé ? Les autres tristesses particulieres
ne sont non plus de la nature, comme
il semble à plusieurs ; car si elles procedoient
de la nature, elles seroient communes à tous
hommes, et les toucheroient à peu près tous
egalement : or nous voyons que les mesmes
choses qui attristent les uns resjouissent les
autres ; qu’une province et une personne rit
de ce dont l’autre pleure ; que ceux qui sont
près des autres qui se lamentent, les exhortent
à se resouldre et quitter leurs larmes.
Escoutez la pluspart de ceux qui se tourmentent,
quand vous avez parlé à eux, ou qu’eux-mesmes
ont prins le loisir de discourir sur
leurs passions, ils confessent que c’est folie
que de s’attrister ainsi ; et loueront ceux qui,
en leurs adversités, auront faict teste à la
fortune, et opposé un courage masle et genereux
à leurs afflictions. Et il est certain que les
hommes n’accommodent pas leur deuil à leur
douleur, mais à l’opinion de ceux avec lesquels
ils vivent ; et si l’on y regarde bien, l’on
remarquera que c’est l’opinion
Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome I, 1827.djvu/248
Cette page n’a pas encore été corrigée
192
DE LA SAGESSE,