en femmes les hommes qui estoient en deuil ; et dict
quelqu’un que la tristesse rend les hommes
eunuques. Les loix romaines premieres, plus masles
et genereuses, defendoient ces effeminées
lamentations, trouvant horrible de se desnaturer
de cette façon, et faire chose contraire
à la virilité, permettant seulement ces premieres
larmes qui sortent de la premiere
poincte, d’une fresche et recente douleur,
qui peuvent tomber mesme des yeux des
philosophes qui gardent avec l’humanité la
dignité, qui peuvent tomber des yeux sans
que la vertu tombe du cœur.
Or non seulement elle fane le visage, change et desguise deshonnestement l’homme au dehors ; mais penetrant jusques à la mouelle des os, tristitia exsiccat ossa [1], fletrist aussi l’ame, trouble son repos, rend l’homme inepte aux choses bonnes et dignes d’honneur, luy ostant le goust, l’envie et la disposition à faire chose qui vaille et pour soy et pour autruy, et non seulement à faire le bien, mais encore à le recevoir. Car mesme les bonnes fortunes qui luy arrivent luy desplaisent ; tout s’aigrist en son esprit, comme les viandes en l’estomach desbauché : bref, elle enfielle nostre vie, et empoisonne toutes nos actions.
Elle a ses degrés. La grande et extrême, ou bien qui n’est pas du tout telle de soy, mais qui est arrivée subitement par surprinse et chaulde allarme,
- ↑ « La tristesse dessèche les os ».