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Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome III, 1827.djvu/258

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rien plus eloquent qu’elle ; ce qui est vray où les esprits sont purs, vuides et nets de passions : mais la pluspart du monde, par nature, ou par art et mauvaise instruction, est preoccupé, mal né et disposé à la vertu et verité ; dont il est requis de traicter les hommes comme le fer, qu’il faut amollir avec le feu avant que le tremper en l’eaue ; aussi par les chaleureux mouvemens de l’eloquence, il les faut rendre soupples et maniables, capables de prendre la trempe de la verité. C’est à quoy doibt tendre l’eloquence ; et son vray fruict est armer la vertu contre le vice, la verité contre le mensonge et la calomnie. L’orateur, dict Theophraste, est le vray medecin des esprits, auquel appartient de guarir la morsure des serpens par le chant des flustes, c’est-à-dire

les calomnies des meschans par l’harmonie de la raison. Or, puis que l’on ne peust empescher que l’on ne s’empare de l’eloquence pour executer ses pernicieux desseins, que peust-on moins faire que nous deffendre de mesmes armes ? Si nous ne nous en voulons ayder, et nous presentons nuds au combat, ne trahissons-nous pas la vertu et la verité ? Mais plusieurs ont abusé de l’eloquence à de meschans desseins, et à la ruine de leur pays. C’est vray, et pour cela n’est-elle à mespriser : cela luy est commun avec toutes les plus excellentes choses du monde, de pouvoir estre tournée à mal et à bien, selon que celuy qui les possede est mal disposé :