Page:Charron - De la sagesse, trois livres, tome III, 1827.djvu/38

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au naturel ; et vaut mieux estre moins estimé, et vivre ouvertement, que d’avoir tant de peine à se contrefaire et tenir couvert : la franchise est chose si belle et si noble ! Mais c’est un pauvre mestier de ces gens ; car la dissimulation ne se porte gueres loin : elle est tost descouverte, selon le dire, que les choses feinctes et violentes ne durent gueres : et le salaire à telles gens est que l’on ne se fie poinct en eux, ny ne les croit-on, quand ils disent verité ; l’on tient pour apocryphe, voire pour pipperie, tout ce qui vient d’eux. Or il y a icy lieu de prudence et de mediocrité ; car si le naturel est difforme, vicieux, et offensif à autruy, il le faut contraindre, ou, pour mieux dire, corriger. Il y a difference entre vivre franchement et vivre nonchalamment. Item, il ne faut tousiours dire tout, c’est sottise ; mais ce que l’on dict, faut qu’il soit tel que l’on pense. Il y a deux sortes de gens ausquelles la feinctise est excusable, voire aucunement requise, mais pour diverses raisons ; sçavoir le prince, pour l’utilité publicque, pour le bien et repos sien et de l’estat, comme a esté dict cy-dessus ; et les femmes pour la bienseance, car la liberté trop franche et hardie leur est messeante et gauchit à l’impudence. Les petits desguisemens, faire la petite bouche, les figures et feinctises, qui