Page:Chassignet - Le mespris de la vie et consolation contre la mort, 1594.djvu/228

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CCLI.


A grand peine ta vie un quatre vins ans dure,
Et tu crains de quitter de ton Palais hautain
La superbe grandeur qui peut estre demain
Renversé par le pié tombera en masure :

Au lieu ou tu t'en vas d'une lumiere pure
Le rais estincellant rend beaucoup plus serain
Le ciel resplendissant, & du soleil mondain
Tu crains abandonner la blonde chevelure :

Les mors ne sont si tost dessous la terre mis
Comme ils sont oubliez & de tes chers amis
Tu crains de delaisser l'heureuse compagnie ;

Scache, docte Bichet, que tout est vanité
Fors d'aspirer au but de la divinité
Qui rend au Createur la creature unie.


CCLII.


Si les hommes naissoient pour jamais ne souffrir
L'inevitable coup de la Parque importune,
Nous aurions bien raison de plaindre l'infortune
De ceus que la mort fait à la tombe courir :

Puisque nous fleurissons à l'effet de flaitrir
Ne regrettons celuy qui sans frayeur aucune
Depart soudaienement de la terre commune,
Mais ceus qui vivent trop & craignent de mourir

Comme le meschant vit pour mourir detestable
A perpetuité, ainsi l'homme equitable
Pour vivre à tout jamais meurt temporellement

Car l'homme juste & droit vit encore qu'il meure
Et l'inique et malin encore qu'il demeure
Fort longuement vivant meurt eternellement.