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même la question de compétence des conseils de guerre, notre séjour au fort de la Vitriolerie nous a ôté toute crainte à cet égard.

En terminant, veuillez, M. le rédacteur, être notre interprète pour remercier M. l’abbé Faivre qui est venu nous apporter des paroles de paix et les bonnes sœurs qui viennent chaque jour nous aider à supporter une existence qui, sans elles, serait pour un grand nombre d’entre nous une vie insupportable.

Ne soyez pas étonné, monsieur, que nous nous adressions à vous malgré la différence de nos opinions, nous vous préférons au Salut Public qui ne fait que grimacer les sentiments que vous attaquez franchement.

Suivent les signatures au nombre de 101.


De nombreux visiteurs n’avaient pas cessé d’affluer à la grille, mais il n’y avait pas d’ordre pour les recevoir. Nous voulons les voir morts ou vivants, disait-on… C’était le jeudi 21 juin. Entrez, leur répondirent le capitaine Ledru et le lieutenant Ledoux qui prirent sur eux la violation de la consigne. Leur conduite a été non-seulement approuvée mais louée par le général Gémeau, je le sais, mais il ne faut pas moins leur savoir gré de l’initiative.

Les femmes, les enfants, les frères, les sœurs, les pères, les amis se précipitèrent… chacun sortait à l’appel de son nom fait par des factionnaires pris parmi nous et que j’avais établi pour éviter l’encombrement[1]. Peindre cette scène est au-dessus de mes forces. Le lieutenant Ledoux, obligé d’y assister, fut contraint par l’émotion de se retirer, il pleurait et avec lui les soldats du 3e génie et les pontonniers présents.

À des frères captifs pourquoi cacher vos pleurs ?
En les voyant couler nous lisons dans vos cœurs.

Je payerai ici un tribut de reconnaissance aux sœurs hospitalières et aux ecclésiastiques qui, avec un dévoûment sublime, sont venus apporter à d’obscurs prisonniers un soulagement moral et matériel.

Je dois aussi remercier les hommes généreux qui ont voulu contribuer à adoucir les peines de leurs frères par des dons faits sans faste, que Dieu seul a connu et qui n’ont pas eu pour véhicule l’orgueil mondain de s’étaler complaisamment dans une liste de souscription que la presse enregistre dans ses annales[2].

Merci surtout à vous femme simple et presque divine[3] ! vos vêtements n’annoncent pas l’opulence, votre langage n’a rien de

  1. Cela se pratiquait aussi lors des distributions. Les chefs de brigade seuls venaient recevoir ce qui appartenait à leur brigade.
  2. MM. Gros, Delorme (chef d’institution), l’abbé Lavigne, les élèves de l’abbé Lefaivre.
  3. Mme Suchet, rue Chabrol. J’ai eu beaucoup de peine à obtenir qu’elle me dît son nom.