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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 10.djvu/407

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parc entre deux détachements de soldats : ses serviteurs et ses geôliers, le colonel Thomlinson lui-même, chef de sa garde funèbre l'accompagnaient tête nue ; le respect était égal à la grandeur de la victime.

Le roi entra dans son palais de Whitehall : on lui avait préparé un dîner ; il ne prit qu'un peu de pain et de vin, encore par le conseil de Juxon. Deux heures s'écoulèrent avant qu'il fût appelé au supplice : on n'a pu que former des conjectures sur ce délai mystérieux.

Les ambassadeurs de Hollande n'étaient arrivés à Londres que le 25 janvier ; ils n'eurent audience des communes que le 29 au soir, la veille même de la catastrophe.

Seymour était avec eux ; il apportait deux lettres du prince de Galles, l'une adressée au roi, l'autre à Fairfax, et de plus un blanc seing du prince : Seymour avait ordre de déclarer que les parlementaires pouvaient écrire sur ce blanc seing toutes les conditions qu'ils jugeraient à propos d'imposer pour le rachat de la vie du prisonnier ; le nom de l'héritier de la couronne qui se trouverait au bas de ces conditions deviendrait le garant de leur acceptation pleine et entière. Cet incident put jeter de l'incertitude dans les esprits ; et s'il fût arrivé quelques jours plus tôt, il aurait peut-être sauvé le roi. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'on délibéra au pied de l'échafaud ; le sacrifice fut suspendu deux heures par une raison qu'on ignore. On trouve une preuve singulière de l'hésitation des conjurés jusqu'au dernier moment.

Fairfax était à Whitehall pendant l'exécution ; il avait refusé d'être du nombre des juges ; il s'était opposé à l'arrêt, et lady Fairfax encore plus que lui ; il avait menacé de soulever les soldats de son régiment ; il ne fut trompé, comme nous l'avons vu, que par les jongleries de Cromwell. Herbert le rencontra entouré de quelques officiers dans un corridor de Whitehall ; Fairfax l'apercevant lui dit aussitôt : « Comment se porte le roi ? » La question parut étonnante à Herbert. Fairfax croyait donc qu'on négociait ? il ignorait donc où en étaient les choses ? La droiture sans les lumières a les résultats de la méchanceté : si elle n'accomplit pas les faits, elle les laisse accomplir, et sa conscience même lui est un piège.

Peut-être aussi le retard provint-il de la difficulté de trouver des bourreaux et de les habiller pour la scène. Le jugement des régicides fait voir qu'on ne se servit pas de l'exécuteur ordinaire, que tous les soldats d'un régiment, appelés sous serment secret à cette oeuvre, dénièrent leurs bras, et que Hulet (officier accusé au procès d'avoir été le bourreau) soutint, dans sa défense, qu'on l'avait retenu prisonnier à Whitehall pour avoir refusé la hache d'honneur des régicides.