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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/110

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et la vierge sont unies ; elle épure les soupirs, elle change en une flamme incorruptible une flamme périssable, elle mêle divinement son calme et son innocence à ce reste de trouble et de volupté d’un cœur qui cherche à se reposer et d’une vie qui se retire. »

« Je ne sais ce que le ciel me réserve, et s’il a voulu m’avertir que les orages accompagneraient partout mes pas. L’ordre était donné pour le départ de la flotte ; déjà plusieurs vaisseaux avaient appareillé au baisser du soleil ; je m’étais arrangé pour passer la dernière nuit à terre, afin d’écrire ma lettre d’adieux à Amélie. Vers minuit, tandis que je m’occupe de ce soin et que je mouille mon papier de mes larmes, le bruit des vents vient frapper mon oreille. J’écoute, et au milieu de la tempête je distingue les coups de canon d’alarme mêlés au glas de la cloche monastique. Je vole sur le rivage où tout était désert et où l’on n’entendait que le rugissement des flots. Je m’assieds sur un rocher. D’un côté s’étendent les vagues étincelantes, de l’autre les murs sombres du monastère se perdent confusément dans les cieux. Une petite lumière paraissait à la fenêtre grillée. Était-ce toi, ô mon Amélie ! qui, prosternée au pied du crucifix, priais le Dieu des orages d’épargner ton malheureux frère ? La tempête sur les flots, le calme dans ta retraite ; des hommes brisés sur des écueils, au pied de l’asile que rien ne peut troubler ; l’infini de l’autre côté du mur d’une cellule ; les fanaux agités des vaisseaux, le phare immobile du couvent ; l’incertitude des destinées du navigateur, la vestale connaissant dans un seul jour tous les jours futurs de sa vie ; d’une autre part, une âme telle que la tienne, ô Amélie, orageuse comme l’Océan ; un naufrage plus affreux que celui du marinier : tout ce tableau est encore profondément gravé dans ma mémoire. Soleil de ce ciel nouveau, maintenant témoin de mes larmes, échos du rivage américain qui répétez les accents de René, ce fut le lendemain de cette nuit terrible qu’appuyé sur le gaillard de mon vaisseau je vis s’éloigner pour jamais ma terre natale ! Je contemplai longtemps sur la côte les derniers balancements des arbres de la patrie et les faîtes du monastère qui s’abaissaient à l’horizon. »

Comme René achevait de raconter son histoire, il tira un papier de son sein, et le donna au père Souël, puis, se jetant dans les bras de Chactas et étouffant ses sanglots, il laissa le temps au missionnaire de parcourir la lettre qu’il venait de lui remettre.

Elle était de la supérieure de… Elle contenait le récit des derniers moments de la sœur Amélie de la Miséricorde, morte victime de son zèle et de sa charité en soignant ses compagnes attaquées d’une maladie contagieuse. Toute la communauté était inconsolable et l’on