Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/125

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Dona Blanca descendait d’une famille qui tirait son origine du Cid de Bivar et de Chimène, fille du comte Gomez de Gormas. La postérité du vainqueur de Valence la Belle tomba, par l’ingratitude de la cour de Castille, dans une extrême pauvreté ; on crut même pendant plusieurs siècles qu’elle s’était éteinte, tant elle devint obscure. Mais, vers le temps de la conquête de Grenade, un dernier rejeton de la race des Bivar, l’aïeul de Blanca, se fit reconnaître moins encore à ses titres qu’à l’éclat de sa valeur. Après l’expulsion des infidèles, Ferdinand donna au descendant du Cid les biens de plusieurs familles maures et le créa duc de Santa-Fé. Le nouveau duc fixa sa demeure à Grenade, et mourut jeune encore, laissant un fils unique déjà marié, don Rodrigue, père de Blanca.

Dona Thérésa de Xérès, femme de don Rodrigue, mit au jour un fils qui reçut à sa naissance le nom de Rodrigue, comme tous ses aïeux, mais que l’on appela don Carlos, pour le distinguer de son père. Les grands événements que don Carlos eut sous les yeux dès sa plus tendre jeunesse, les périls auxquels il fut exposé presque au sortir de l’enfance, ne firent que rendre plus grave et plus rigide un caractère naturellement porté à l’austérité. Don Carlos comptait à peine quatorze ans lorsqu’il suivit Cortez au Mexique : il avait supporté tous les dangers, il avait été témoin de toutes les horreurs de cette étonnante aventure ; il avait assisté à la chute du dernier roi d’un monde jusque alors inconnu. Trois ans après cette catastrophe, don Carlos s’était trouvé en Europe à la bataille de Pavie, comme pour voir l’honneur et la vaillance couronnés succomber sous les coups de la fortune. L’aspect d’un nouvel univers, de longs voyages sur des mers non encore parcourues, le spectacle des révolutions et des vicissitudes du sort, avaient fortement ébranlé l’imagination religieuse et mélancolique de don Carlos : il était entré dans l’ordre chevaleresque de Calatrava, et, renonçant au mariage malgré les prières de don Rodrigue, il destinait tous ses biens à sa sœur.

Blanca de Bivar, sœur unique de don Carlos et beaucoup plus jeune que lui, était l’idole de son père : elle avait perdu sa mère, et elle entrait dans sa dix-huitième année lorsque Aben-Hamet parut à Grenade. Tout était séduction dans cette femme enchanteresse ; sa voix était ravissante, sa danse plus légère que le zéphyr ; tantôt elle se plaisait à guider un char comme Armide, tantôt elle volait sur le dos du plus rapide coursier d’Andalousie, comme ces fées charmantes qui apparaissaient à Tristan et à Galaor dans les forêts. Athènes l’eût prise pour Aspasie et Paris pour Diane de Poitiers, qui commençait à briller à la cour. Mais avec les charmes d’une Française elle avait les passions