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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/132

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Le soleil était descendu sous l’horizon pendant la promenade des deux amants. Ils avaient parcouru tout l’Alhambra. Quels souvenirs offerts à la pensée d’Aben-Hamet ! Ici la sultane recevait par des soupiraux la fumée des parfums qu’on brûlait au-dessous d’elle. Là, dans cet asile écarté, elle se parait de tous les atours de l’Orient. Et c’était Blanca, c’était une femme adorée qui racontait ces détails au beau jeune homme qu’elle idolâtrait.

La lune, en se levant, répandit sa clarté douteuse dans les sanctuaires abandonnés et dans les parvis déserts de l’Alhambra. Ses blancs rayons dessinaient sur le gazon des parterres, sur les murs des salles, la dentelle d’une architecture aérienne, les cintres des cloîtres, l’ombre mobile des eaux jaillissantes et celle des arbustes balancés par le zéphyr. Le rossignol chantait dans un cyprès qui perçait les dômes d’une mosquée en ruine, et les échos répétaient ses plaintes. Aben-Hamet écrivit au clair de la lune le nom de Blanca sur le marbre de la salle des Deux-Sœurs : il traça ce nom en caractères arabes, afin que le voyageur eût un mystère de plus à deviner dans ce palais des mystères.

« Maure, ces lieux sont cruels, dit Blanca : quittons ces lieux. Le destin de ma vie est fixé pour jamais. Retiens bien ces mots : Musulman, je suis ton amante sans espoir ; chrétien, je suis ton épouse fortunée. »

Aben-Hamet répondit : « Chrétienne, je suis ton esclave désolé ; musulmane, je suis ton époux glorieux. »

Et ces nobles amants sortirent de ce dangereux palais.

La passion de Blanca s’augmenta de jour en jour, et celle d’Aben-Hamet s’accrut avec la même violence. Il était si enchanté d’être aimé pour lui seul, de ne devoir à aucune cause étrangère les sentiments qu’il inspirait, qu’il ne révéla point le secret de sa naissance à la fille du duc de Santa-Fé : il se faisait un plaisir délicat de lui apprendre qu’il portait un nom illustre, le jour même où elle consentirait à lui donner sa main. Mais il fut tout à coup rappelé à Tunis : sa mère, atteinte d’un mal sans remède, voulait embrasser son fils et le bénir avant d’abandonner la vie. Aben-Hamet se présente au palais de Blanca. « Sultane, lui dit-il, ma mère va mourir. Elle me demande pour lui fermer les yeux. Me conserveras-tu ton amour ? »

« Tu me quittes, répondit Blanca pâlissante. Te reverrai-je jamais ? »

« Viens, dit Aben-Hamet. Je veux exiger de toi un serment, et t’en faire un que la mort seule pourra briser. Suis-moi. »

Ils sortent ; ils arrivent à un cimetière qui fut jadis celui des Maures.