Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/142

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dentelles, des couronnes de perles et des gerbes de rubis, est adorée par un peuple à demi nu.

On ne remarquait aucun siège au milieu de la vaste enceinte : un pavé de marbre qui recouvrait des cercueils servait aux grands comme aux petits pour se prosterner devant le Seigneur. Aben-Hamet s’avançait lentement dans les nefs désertes qui retentissaient du seul bruit de ses pas. Son esprit était partagé entre les souvenirs que cet ancien édifice de la religion des Maures retraçait à sa mémoire et les sentiments que la religion des chrétiens faisait naître dans son cœur. Il entrevit au pied d’une colonne une figure immobile, qu’il prit d’abord pour une statue sur un tombeau ; il s’en approche ; il distingue un jeune chevalier à genou, le front légèrement incliné et les deux bras croisés sur sa poitrine. Ce chevalier ne fit aucun mouvement au bruit des pas d’Aben-Hamet ; aucune distraction, aucun signe extérieur de vie ne troubla sa profonde prière. Son épée était couchée à terre devant lui, et son chapeau, chargé de plumes, était posé sur le marbre à ses côtés : il avait l’air d’être fixé dans cette attitude par l’effet d’un enchantement. C’était Lautrec : « Ah ! dit l’Abencerage en lui-même, ce jeune et beau Français demande au ciel quelque faveur signalée ; ce guerrier déjà célèbre par son courage, répand ici son cœur devant le souverain du ciel, comme le plus humble et le plus obscur des hommes. Prions donc aussi le Dieu des chevaliers et de la gloire. »

Aben-Hamet allait se précipiter sur le marbre, lorsqu’il aperçut, à la lueur d’une lampe, des caractères arabes et un verset du Coran qui paraissaient sous un plâtre à demi tombé. Les remords rentrent dans son cœur, et il se hâte de quitter l’édifice où il a pensé devenir infidèle à sa religion et à sa patrie.

Le cimetière qui environnait cette ancienne mosquée était une espèce de jardin planté d’orangers, de cyprès, de palmiers, et arrosé par deux fontaines ; un cloître régnait alentour. Aben-Hamet, en passant sous un des portiques, aperçut une femme prête à entrer dans l’église. Quoiqu’elle fût enveloppée d’un voile, l’Abencerage reconnut la fille du duc de Santa-Fé ; il l’arrête, et lui dit : « Viens-tu chercher Lautrec dans ce temple ? »

« Laisse là ces vulgaires jalousies, répondit Blanca : si je ne t’aimais plus, je te le dirais ; je dédaignerais de te tromper. Je viens ici prier pour toi ; toi seul es maintenant l’objet de mes vœux : j’oublie mon âme pour la tienne. Il ne fallait pas m’enivrer du poison de ton amour, ou il fallait consentir à servir le Dieu que je sers. Tu troubles toute ma famille, mon frère te hait ; mon père est accablé de chagrin, parce