Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/158

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« Je meurs ! s’écrie-t-elle : Colda, mon guerrier, viens à mon secours ! »

« La nuit déploya ses ombres : plus faiblement alors la voix murmura des plaintes ; plus faiblement encore elle fut répétée par les échos du rivage ; elle s’évanouit enfin dans les ténèbres. Colda trouva Mélina à demi ensevelie dans le sable ; il éleva pour elle la pierre du tombeau sous un chêne auprès d’un torrent. Le chasseur aime ce lieu solitaire ; il s’y repose à l’ombre quand le soleil brûle la plaine. Colda fut longtemps triste ; il s’égarait seul à travers les bois des coteaux d’Étha ; chaque nuit les oiseaux des mers écoutaient ses soupirs. Mais l’ennemi vint, et le bouclier de Trenmor retentit ; Colda saisit sa lance, et fut vainqueur, La joie reparut peu à peu sur son visage comme le soleil sur la bruyère quand la tempête est passée. »

« Le souvenir de ce chef, dit Dargo, revit dans ma mémoire, mais comme les faibles traces d’un songe depuis longtemps évanoui. Colda conduisit souvent les pas de mon enfance au chêne d’Étha ; les larmes tombaient de ses yeux en s’avançant sur les grèves abandonnées. Je lui demandais pourquoi il pleurait ; il me répondait : C’est ici que dort Mélina. Ô Colda ! je me suis reposé sur sa tombe et sur la tienne ! Puisse ma renommée me survivre, de même que ta gloire est restée après toi, lorsque je serai errant dans les nuages avec la belle Évella ! »

« Oui, ton nom demeurera parmi les hommes, dit Comhal ; mais nous touchons au rivage. Vois-tu ces boucliers roulant comme la lune à travers le brouillard ? Leurs bosses reluisent aux rayons du matin. Les guerriers d’Inisfail sont là ; le roi regarde par la fenêtre de son palais ; il aperçoit un nuage grisâtre. Des larmes tombent sur la pierre de la fenêtre. Nos voiles sont le nuage grisâtre ; le roi les a reconnues ; la joie éclate dans ses yeux ; il s’écrie : Voici Comhal ! »

Les chefs de Lochlin ont aussi reconnu les guerriers de Morven, qui viennent au secours d’Inisfail. Leur armée se courbe, et s’avance à la rencontre de ces guerriers. Armor la conduit : il s’élève au-dessus des héros comme le chef rougeâtre au-dessus des troupeaux de biches dans les bois de Morven. Comhal s’écrie : « Ceignez vos épées ; rappelez les jours de votre gloire et les anciennes batailles de Morven. Dargo, présente ton large bouclier ; Carril, que ton glaive rapide jette encore des ondes de lumière ; lève cette lance, ô Comhal ! qui si souvent joncha la terre de morts ; et toi, Ullin, que ta voix nous anime aux combats sanglants. »

Nous fondons sur l’ennemi ; il était immobile comme le chêne de Malaor, que ne peut ébranler la tempête. Inisfail nous vit, et se précipita dans la vallée pour se joindre à nous. Lochlin plie sous les coups de l’orage : ses branches arrachées couvrent les champs. Armor