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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/167

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« Il n’est pas temps de reposer, s’écrie-t-il, quand celui qui dépouilla mon ami est si près. Les guerriers de Dorla sont nombreux ; ils nous ont attaqués cette nuit, et nous avons cru, en les respectant, que c’étaient les bataillons de Connar. Ossian et Gormalon, avancez le long du rivage. Dumolach et Leth, volez aux salles de Connar, et si vous y trouvez Niala, étendez devant elle vos boucliers protecteurs. Molo, observe l’ennemi, afin qu’il ne puisse livrer ses voiles au vent sans combattre. Et toi, Carrill, où es-tu ? Barde aux douces chansons, reste auprès du chef de Duthona avec ta harpe : sa mélodie est un rayon de lumière qui se glisse au milieu de l’orage. »

Carrill vint avec sa harpe : les sons de cette harpe étaient légers comme le mouvement des ombres glissant dans un air pur sur les rivages de Lara. Coulez en silence, ruisseaux de la nuit, que nous entendions la chanson du barde.

« Au bord des torrents de Lara se penche un chêne qui laisse tomber de ses feuilles, sur le courant d’eau, les pleurs de la rosée. Là, on voit errer deux ombres lorsque le soleil illumine la plaine et que le silence est dans Morven : l’une est ton ombre, vénérable Uval ; l’autre est celle de ta fille, la belle chasseresse. Les jeunes guerriers de Lara poursuivaient les chevreuils ; ils célébraient la fête dans la cabane lointaine du désert. Colgar les découvrit, et parut subitement à Lara comme le torrent qui fond du haut d’une montagne, quand l’ondée est encore sur les hauts sommets, et n’a point descendu dans la vallée. — Fille d’Uval, dit Colgar, il te faut me suivre ; j’enchaînerai ici ton père, car il frapperait sur le bouclier, et les jeunes guerriers pourraient entendre le son dans la solitude. »

« Colgar, je ne t’aime pas, dit la fille d’Uval ; laisse-moi avec mon père : ses yeux sont tristes, ses cheveux blanchis. »

« Colgar est sourd à la prière ; la fille d’Uval est obligée de le suivre, mais ses pas sont tardifs. Un chevreuil bondit auprès de Colgar ; ses flancs bruns se montrent à travers les vertes bruyères. — Colgar, dit la fille d’Uval, prête-moi ton arc : j’ai appris à percer le chevreuil. Colgar crut la beauté déjà consolée, et, plein d’amour, il donne son arc. La fille d’Uval tend la corde, la flèche part, Colgar tombe. La fille d’Uval retourna à Lara : l’âme de son père fut réjouie. Le soir de la vie d’Uval se prolongea ; il fut comme le coucher du soleil sur la montagne des sources limpides ; les derniers jours d’Uval tombèrent comme les feuilles d’automne dans la vallée silencieuse. Les années de la fille d’Uval furent nombreuses ; quand elle s’éteignit, elle dormit en paix avec son père. »