Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/169

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l’épée de Connar ; ils demeuraient immobiles : lorsque le chasseur est surpris par la nuit sur la colline de Cromla, la terreur des fantômes l’environne ; une sueur froide perce son front, ses pas tremblants si’ refusent à sa fuite ; ses genoux fléchissent au milieu de sa course.

Dorla vit les yeux égarés de son peuple ; une grosse larme roule dans les siens. « Pourquoi, dit-il à ses guerriers, demeurez-vous dans ce silence, comme les arbres qui s’élèvent autour de nous ? Votre nombre ne surpasse-t-il pas celui des fils de Morven ? Ils peuvent avoir leur renommée, mais n’avons-nous pas aussi combattu avec les héros ? Si vous songez à la fuite, où est le chemin de nos vaisseaux, si ce n’est à travers l’ennemi ? Fondons sur eux dans notre colère ; que nos bras soient courageux, et la joie de mes amis sera grande quand nous retournerons chez nos pères. »

Connar, au milieu des héros de Morven, frappa sur le bouclier de Duthona. Ses guerriers, dispersés, entendirent le signal du roi ; ils levèrent la tête dans leurs vallons ignorés, comme les ruisseaux de Selma : dans les jours de sécheresse, ces ruisseaux se cachent sous les cailloux de leur lit ; mais quand les tièdes ondées descendent, ils sortent tout à coup de leur retraite, rugissent, inondent et surmontent de leurs eaux les collines.

On combat : Dorla est abattu par fa lance de Connar. Fingal le vit tomber ; il s’avance alors dans sa clémence, et parle aux guerriers de Dorla, qui n’est plus.

« Fingal, leur dit-il, ne se plaît point dans la chute de ses ennemis, quoiqu’ils l’aient forcé de tirer l’épée. Ne venez jamais à Morven, ne vous présentez plus aux rivages de Duthona. Rapide est le jour du peuple qui ose lever la lance contre Fingal ; une colonne de fumée chassée par la tempête est la vie de ceux qui combattent contre les héros de Morven. Retirez-vous : emportez le corps de Dorla.

« Pourquoi es-tu si matinale, épouse de Dorla ? continua Fingal. Que fais-tu, immobile sur le rocher ? Tes cheveux sont trempés de la rosée du matin ; tes regards sont errants sur les vagues lointaines : ce que tu vois n’est pas l’écume du vaisseau de Dorla, c’est la mer qui se brise autour du flanc des baleines. Les deux enfants de l’épouse de Dorla sont assis sur les genoux de leur mère ; ils voient une larme descendre le long de la joue de la femme ; ils lèvent leur petite main pour saisir la perle brillante. « Mère, diront-ils, pourquoi pleures-tu ? Où notre père a-t-il dormi cette nuit ? »

« Ainsi, peut-être, ô Ossian ! ton Éveralline est maintenant inquiète pour toi. Elle conduit peut-être ton Oscar au sommet de Morven, afin de découvrir la pleine mer. Ossian, souviens-toi d’Oscar et d’Éveral-