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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 3.djvu/573

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Un grand républicain : je sais de bonne part
Qu’il s’est fort réjoui de la mort de Stuart. »

« Non, » crioit Davenant, que ce reproche touche.
Mais Milton, de sa main en lui couvrant la bouche,
Au fond du cabinet le pousse tout d’abord,
L’enferme à double tour, puis avec un peu d’or
Éconduit poliment la horde jacobine.

Vers son hôte captif ensuite il s’achemine,
Fait apporter du vin, qu’il lui verse à grands flots.
Sème le déjeûner d’agréables propos :
De politique point, mais beaucoup de critiques
Sur l’esprit des Latins et les grâces attiques.
Davenant récita l’idylle du Ruisseau ;
Milton lui repartit par le vif Allegro,
Du doux Penseroso redit le chant si triste
Et déclama les chœurs du Samson agoniste.
Les poëtes, charmés de leurs talents divers,
Se quittèrent enfin en murmurant leurs vers.

Cependant, fatigué de ses longues misères.
Le peuple soupiroit pour les lois de ses pères :
Il rappela son Roi ; les crimes réfrénés
Furent par un édit sagement pardonnés.
On excepta pourtant quelques hommes perfides.
Complices et fauteurs des sanglants régicides :
Milton, au premier rang, s’étoit placé parmi.

Dénoncé par sa gloire, au toit d’un vieil ami
Il avoit espéré trouver ombre et silence.
De son sort, une nuit, il pesoit l’inconstance :
D’une lampe empruntée à la tombe des morts
La lueur pâlissante éclairoit ses remords.
Il entend tout à coup, vers la douzième heure.
Heurter de son logis la porte extérieure ;
Les verrous sont brisés par de nombreux soldats.
La fille de Milton accourt ; on suit ses pas.
Dans l’asile secret un chef se précipite :
Un chapeau de ses yeux venant toucher l’orbite