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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/120

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foule des victimes, j’attendois le coup fatal ; mais je ne sais par quel dessein de la Providence je fus oublié dans ce grand massacre. Les corps entassés autour de moi me dérobèrent à la vue des centurions, et, Maximien, ayant accompli son œuvre, s’éloigna avec l’armée.

« Vers la seconde veille de la nuit, n’entendant plus que le bruit d’un torrent dans les montagnes, je levai la tête et je fus à l’instant frappé d’un prodige. Les corps de mes compagnons sembloient jeter une vive lumière 13 et répandre une agréable odeur. J’adorai le Dieu des miracles, qui n’avoit pas voulu accepter le sacrifice de mes jours ; et comme je ne pouvois donner la sépulture à tant de saints, je cherchai du moins le grand Maurice. Je le trouvai à demi recouvert de la neige tombée pendant la nuit. Animé d’une force surnaturelle, je me dégageai de mes liens, et avec le fer d’une lance je creusai à mon général une fosse profonde. J’y réunis le tronc et le chef de Maurice, en priant le nouveau Machabée d’obtenir bientôt pour son soldat une place dans la milice céleste. Ensuite je quittai ce champ de triomphe et de larmes ; je pris le chemin des Gaules, et me retirai vers Denis, premier évêque de Lutèce 14.

« Ce saint prélat me reçut avec des pleurs de joie, et m’admit au nombre de ses disciples. Quand il me crut capable de le seconder dans son ministère, il m’imposa les mains, et, me créant prêtre de Jésus-Christ, il me dit : « Humble Zacharie, soyez charitable ; voilà toutes les instructions que j’ai à vous donner. » Hélas ! j’étois toujours destiné à perdre mes amis, et toujours par la même main ! Maximien fit trancher la tête à Denis et à ses compagnons, Rustique et Éleuthère. Ce fut son dernier exploit dans les Gaules, qu’il céda bientôt après à Constance.

« J’avois sans cesse devant les yeux le précepte de mon saint évêque. Je me sentis pressé du désir de rendre quelque service à des misérables, et j’allois souvent prier Denis de m’obtenir cette faveur, par son intercession auprès du Fils de Marie.

« Les chrétiens de Lutèce avoient enseveli leur évèque dans une grotte, au pied de la colline sur laquelle il avoit été décapité. Cette colline s’appeloit le mont de Mars 15, et elle étoit séparée de la Sequana par des marais. Un jour, comme je traversois ces marais, je vis venir à moi une femme chrétienne tout éplorée, qui s’écria : « Ô Zacharie ! je suis la plus infortunée des femmes ! Mon époux a été pris par les Francs ; il me laisse avec trois enfants en bas âge, et sans aucun moyen de les nourrir ! » Une rougeur subite couvrit mon front ; je compris que Dieu m’envoyoit cette grâce par les prières du