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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/134

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Un fantôme s’élance sur le seuil des portes inexorables : c’est la Mort 12. Elle se montre comme une tache obscure sur les flammes des cachots qui brûlent derrière elle ; son squelette laisse passer les rayons livides de la lumière infernale entre les creux de ses ossements. Sa tête est ornée d’une couronne changeante, dont elle dérobe les joyaux aux peuples et aux rois de la terre. Quelquefois elle se pare des lambeaux de la pourpre ou de la bure, dont elle a dépouillé le riche et l’indigent. Tantôt elle vole, tantôt elle se traîne ; elle prend toutes les formes, même celles de la beauté. On la croiroit sourde, et toutefois elle entend le plus petit bruit qui décèle la vie ; elle paroît aveugle, et pourtant elle découvre le moindre insecte rampant sous l’herbe. D’une main elle tient une faux comme un moissonneur ; de l’autre elle cache la seule blessure qu’elle ait jamais reçue, et que le Christ vainqueur lui porta dans le sein, au sommet du Golgotha.

C’est le Crime qui ouvre les portes 13 de l’enfer, et c’est la Mort qui les referme. Ces deux monstres, par un certain amour affreux, avoient été avertis de l’approche de leur père. Aussitôt que la Mort reconnoît de loin l’ennemi des hommes, elle vole pleine de joie à sa rencontre :

« Ô mon père ! s’écrie-t-elle, j’incline devant toi cette tête qui ne s’abaissa jamais devant personne. Viens-tu rassasier la faim insatiable de ta fille ? je suis fatiguée des mêmes festins, et j’attends de toi quelque nouveau monde à dévorer. »

Satan, saisi d’horreur, détourna la tête pour éviter les embrassements du squelette. Il l’écarté avec sa lance, et lui répond en passant :

« Ô Mort ! tu seras satisfaite et vengée : je vais livrer à ta rage le peuple nombreux de ton unique vainqueur. »

En prononçant ces mots le chef des démons entre au séjour où pleurent à jamais ses victimes ; il s’avance dans les campagnes ardentes. L’abîme s’émeut à la vue de son roi ; les bûchers jettent une flamme plus éclatante ; le réprouvé qui pensoit être au comble de la douleur est percé d’un aiguillon plus aigu : ainsi, dans le désert de Zaara, accablé par l’ardeur d’un orage sans pluie, le noir Africain se couche sur les sables, au milieu des serpents et des lions altérés comme lui ; il se croit parvenu au dernier degré du supplice : un soleil troublé, se montrant entre des nuées arides 14, lui fait sentir des tourments nouveaux.

Qui pourroit peindre l’horreur 15 de ces lieux, où sont rassemblées, agrandies et perpétuées sans fin toutes les tribulations de la vie ? Lié par cent nœuds de diamant sur un trône de bronze, le démon du