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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/145

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tannique. Bientôt je fus créé maître de la cavalerie 22, et je commandois l’armée lorsque les Pictes furent vaincus sous les murs de Petuaria[a], colonie que les Parisii des Gaules 23 ont plantée au bord de l’Abus[b]. J’attaquai Carrausius 24 sur le Thamésis[c], fleuve couvert de roseaux, qui baigne le village marécageux de Londinum[d]. L’usurpateur avoit choisi ce champ de bataille parce que les Bretons s’y croyoient invincibles. Là s’élevoit une vieille tour 25 du haut de laquelle un barde annonçoit dans ses chants prophétiques je ne sais quels tombeaux chrétiens qui devoient illustrer le lieu[e]. Carrausius fut vaincu et ses soldats l’assassinèrent. Constance me laissa toute la gloire de ce succès. Il envoya à l’empereur mes lettres couronnées 26 de lauriers. Il sollicita et obtint pour moi la statue 27 et les honneurs qui ont remplacé le triomphe. Bientôt après nous repassâmes dans les Gaules, et César, voulant me donner une nouvelle preuve de sa puissante amitié, me créa commandant des contrées armoricaines 28. Je me disposai à partir pour ces provinces, où florissoit encore la religion des druides, et dont les rivages étoient souvent insultés par les flottes des barbares du Nord.

« Quand les préparatifs de mon voyage furent achevés, Rogatien, Sebastien, Gervais, Protais et tous les chrétiens du palais de César, accoururent pour me dire adieu.

« Nous nous retrouverons 29 peut-être à Rome, s’écrièrent-ils, au milieu des persécutions et des épreuves. Puisse un jour la religion nous réunir à la mort comme de vieux amis et de dignes chrétiens ! »

« J’employai plusieurs mois à visiter les Gaules avant de me rendre à ma province. Jamais pays n’offrira un pareil mélange de mœurs, de religions, de civilisation, de barbarie. Partagé entre les Grecs, les Romains et les Gaulois, entre les chrétiens et les adorateurs de Jupiter et de Teutatès, il présente tous les contrastes.

« De longues voies romaines se déroulent à travers les forêts des druides. Dans les colonies des vainqueurs, au milieu des bois sauvages, vous apercevez les plus beaux monuments 30 de l’architecture grecque et romaine : des aqueducs à trois galeries suspendus sur des torrents, des amphithéâtres, des capitules, des temples d’une élégance parfaite, et non loin de ces colonies, vous trouvez les huttes arrondies des Gaulois, leurs forteresses de solives et de pierres 31, à la porte desquelles sont cloués des pieds de louves 32, des carcasses de hiboux, des os de morts. À Lugdunum, à Narbonne, à Marseille, à Burdigalie, la jeunesse gauloise 33 s’exerce avec succès dans l’art de Démosthène et

  1. Beverley, dans le comté d’York, en Angleterre.
  2. L’Humbler.
  3. La Tamise.
  4. Londres.
  5. Westminster.