Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saluèrent de leurs cris et portèrent à leur bouche son onde sacrée. Un paysage à fleur d’eau s’étendoit sur l’une et l’autre rive. Ce fertile marais étoit à peine ombragé par des sycomores chargés de figues et par des palmiers qui semblent être des roseaux du Nil. Quelquefois le désert, comme un ennemi, se glisse dans la verte plaine ; il pousse ses sables en longs serpents d’or, et dessine au sein de la fécondité des méandres stériles. Les hommes ont multiplié sur cette terre l’obélisque, la colonne et la pyramide, sorte d’architecture isolée, qui remplace par l’art les troncs des vieux chênes que la nature a refusés à un sol rajeuni tous les ans 28.

« Cependant nous commencions à découvrir à notre droite les premières sinuosités de la montagne de Libye, et à notre gauche la crête des monts de la mer Érythrée. Bientôt, dans l’espace vide que laissoit l’écartement de ces deux chaînes de montagnes nous vîmes paroître le sommet des deux grandes pyramides. Placées à l’entrée de la vallée du Nil, elles ressemblent aux portes funèbres de l’Égypte, ou plutôt à quelque monument triomphal élevé à la mort pour ses victoires : Pharaon est là avec tout son peuple, et ses sépulcres sont autour de lui 29.

« Non loin et comme à l’ombre de ces demeures du néant, Memphis s’élève, entourée de cercueils. Baignée par le lac Achérus, où Caron passoit les morts 30, voisine de la plaine des tombeaux, elle semble n’avoir qu’un pas à franchir pour descendre aux enfers avec ses générations. Je ne m’arrêtai pas longtemps dans cette ville, déchue de sa première grandeur. Cherchant toujours Dioclétien, je remontai jusque dans la Haute-Égypte. Je visitai Thèbes aux cent portes 31, Tentyra aux ruines magnifiques 32 et quelques-unes des quatre mille cités que le Nil arrose dans son cours.

« Ce fut en vain que je cherchai cette sage et sérieuse Égypte qui donna Cécrops et Inachus à la Grèce, qui fut visitée 33 par Homère, Lycurgue et Pythagore, et par Jacob, Joseph et Moïse ; cette Égypte où le peuple jugeoit ses rois 34 après leur mort, où l’on empruntoit en livrant pour gage le corps d’un père 35, où le père qui avoit tué son fils 36 étoit obligé de tenir pendant trois jours le corps de ce fils embrassé, où l’on promenoit un cercueil autour de la table du festin 37, où les maisons s’appeloient des hôtelleries et les tombeaux des maisons 38. J’interrogeai les prêtres si renommés dans la science des choses du ciel et des traditions de la terre. Je ne trouvai que des fourbes qui entourent la vérité de bandelettes comme leurs momies, et la rangent au nombre des morts dans leurs puits funèbres. Retombés dans une grossière ignorance, ils n’entendent plus la langue hiérogly-