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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/182

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mort des chrétiens fut jurée sont changés en cloîtres pieux[a], et la pénitence habite où régna le crime triomphant ! »

« Paul laissa retomber ses mains à ses côtés. Le feu qui l’avoit animé s’éteignit. Redevenu mortel, il en reprit le langage.

« Eudore, me dit-il, il faut nous séparer. Je ne dois plus descendre de la montagne. Celui qui me doit ensevelir approche ; il vient couvrir ce pauvre corps 76 et rendre la terre à la terre. Vous le trouverez au bas du rocher ; vous attendrez son retour ; il vous montrera le chemin. »

« Alors l’étonnant vieillard me força de le quitter. Triste, et plongé dans les plus sérieuses pensées, je m’éloignai en silence. J’entendois la voix de Paul qui chantoit son dernier cantique. Prêt à se brûler sur l’autel, le vieux phénix saluoit par des concerts sa jeunesse renaissante. Au bas de la montagne je rencontrai un autre vieillard qui hâtoit ses pas. Il tenoit à la main la tunique d’Athanase 77, que Paul lui avoit demandée pour lui servir de linceul. C’étoit le grand Antoine, éprouvé par tant de combats contre l’enfer. Je voulus lui parler, mais lui, toujours marchant, s’écrioit :

« J’ai vu Élie 78, j’ai vu Jean dans le désert, j’ai vu Paul dans un paradis ! »

« Il passa, et j’attendis son retour toute la journée. Il ne revint que le jour suivant. Des pleurs couloient de ses yeux.

« Mon fils, s’écria-t-il en s’approchant de moi, le séraphin n’est plus sur la terre. À peine hier m’étois-je éloigné de vous que je vis, au milieu d’un chœur d’anges 79 et de prophètes, Paul, tout éclatant d’une blancheur pure, monter au ciel. Je courus au haut de la montagne, j’aperçus le saint, les genoux en terre, la tête levée et les bras étendus vers le ciel ; il sembloit encore prier, et il n’étoit plus ! Deux lions 80 qui sortirent des rochers voisins m’ont aidé à lui creuser un tombeau, et sa tunique de feuilles de palmier est devenue mon héritage. »

« Ce fut ainsi qu’Antoine me raconta la mort du premier des anachorètes. Nous nous mîmes en route et nous arrivâmes au monastère où déjà se formoit, sous la direction d’Antoine, cette milice dont Paul m’avoit annoncé les conquêtes. Un solitaire me conduisit à Arsinoé. J’en partis bientôt avec les marchands de Ptolémaïs 81. En traversant l’Asie, je m’arrêtai aux Saints Lieux, où je connus la pieuse Hélène 82, épouse de Constance, mon généreux protecteur, et mère de Constantin, mon illustre ami. Je vis ensuite les sept Églises 83 instruites par

  1. Les Thermes de Dioclétien, habités par les Chartreux.