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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/60

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LES MARTYRS.

més d’ambre, où les flots tranquilles viennent expirer au pied des cannelliers en fleur. La couleur des cieux, la disposition et la grandeur des sphères, qui varient selon les mouvements et les distances, sont pour les esprits bienheureux une source inépuisable d’admiration. Ils aiment à connoître les lois qui font rouler avec tant de légèreté ces corps pesants dans l’éther fluide ; ils visitent cette lune paisible qui pendant le calme des nuits éclaira leurs prières ou leurs amitiés ici-bas. L’astre humide et tremblant qui précède les pas du matin, cette autre planète qui paroît comme un diamant dans la chevelure d’or du soleil, ce globe à la longue année qui ne marche qu’à la lueur de quatre torches pâlissantes, cette terre en deuil qui loin des rayons du jour porte un anneau ainsi qu’une veuve inconsolable, tous ces flambeaux errants de la maison de l’homme attirent les méditations des élus. Enfin, les âmes prédestinées volent jusqu’à ces mondes dont nos étoiles sont les soleils, et elles entendent les concerts inconnus de la Lyre et du Cygne célestes. Dieu, de qui s’écoule une création non interrompue, ne laisse point reposer leur curiosité sainte, soit qu’aux bords les plus reculés de l’espace il brise un antique univers, soit que, suivi de l’armée des anges, il porte l’ordre et la beauté jusque dans le sein du chaos.

Mais l’objet le plus étonnant offert à la contemplation des saints, c’est l’homme. Ils s’intéressent encore à nos peines et à nos plaisirs ; ils écoutent nos vœux, ils prient pour nous ; ils sont nos patrons et nos conseils ; ils se réjouissent sept fois lorsqu’un pécheur retourne au bercail, ils tremblent d’une charitable frayeur lorsque l’ange de la mort amène une âme craintive aux pieds du souverain Juge. Mais s’ils voient nos passions à découvert, ils ignorent toutefois par quel art tant d’éléments opposés sont confondus dans notre sein : Dieu, qui permet aux bienheureux de pénétrer les lois de l’univers, s’est réservé le merveilleux secret du cœur de l’homme.

C’est dans cette extase d’admiration et d’amour, dans ces transports d’une joie sublime, ou dans ces mouvements d’une tendre tristesse, que les élus répètent ce cri de trois fois Saint, qui ravit éternellement les cieux. Le roi-prophète règle la mélodie divine ; Asaph, qui soupira les douleurs de David 16, conduit les instruments animés par le souffle, et les fils de Coré 17 gouvernent les harpes, les lyres et les psaltérions qui frémissent sous la main des anges. Les six jours de la création, le repos du Seigneur, les fêtes de l’ancienne et de la nouvelle loi sont célébrés tour à tour 18 dans les royaumes incorruptibles. Alors les dômes sacrés se couronnent d’une auréole plus vive ; alors du trône de Dieu, de la lumière même répandue dans les demeures intellectuelles, s’é-