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LIVRE III.

Tout-Puissant, interrompirent les concerts et suspendirent les fonctions des anges ; il se fit dans le ciel une demi-heure de silence, comme au moment redoutable où Jean vit briser le septième sceau du livre mystérieux ; les milices divines, frappées du son de la parole éternelle, restoient dans un muet étonnement. Ainsi, lorsque la foudre commence à gronder sur de nombreux bataillons, près de se livrer un combat furieux, le signal est suspendu : moitié dans la lumière du soleil, moitié sous l’ombre croissante, les cohortes demeurent immobiles ; aucun soufile de l’air ne fait flotter les drapeaux, qui retombent affaissés sur la main qui les porte ; les mèches embrasées fument inutiles auprès du bronze muet, et les guerriers, sillonnés du feu de l’éclair, écoutent en silence la voix des orages.

L’Esprit qui garde l’étendard de la croix, élevant tout à coup la bannière triomphante, fait cesser l’immobilité des armées du Seigneur. Tout le ciel abaisse aussitôt les yeux vers la terre ; Marie, du haut du firmament, laisse tomber un premier regard d’amour sur la tendre victime confiée à ses soins. Les palmes des confesseurs reverdissent dans leurs mains 34, l’escadron ardent ouvre ses rangs glorieux pour faire place aux époux martyrs, entre Félicité et Perpétue 35, entre l’illustre Étienne et les grands Machabées. Le vainqueur de l’antique dragon, Michel, prépare sa lance redoutable ; autour de lui ses immortels compagnons se couvrent de leurs cuirasses étincelantes. Les boucliers de diamant et d’or, le carquois du Seigneur, les épées flamboyantes, sont détachés des portiques éternels ; le char d’Emmanuel s’ébranle sur son essieu de foudre et d’éclairs ; les chérubins roulent leurs ailes impétueuses 36 et allument la fureur de leurs yeux. Le Christ redescend à la table des vieillards, qui présentent à sa bénédiction deux robes nouvellement blanchies 37 dans le sang de l’Agneau ; le Père tout-puissant se renferme dans les profondeurs de son éternité, et l’Esprit-Saint verse tout à coup des flots d’une lumière si vive, que la création semble rentrée dans la nuit. Alors les chœurs des saints et des anges entonnent le cantique de gloire :

« Gloire à Dieu, dans les hauteurs du ciel 38 !

« Goûtez sur la terre des jours pacifiques, vous qui marchez parmi les sentiers de la bonté et de la douceur ! Agneau de Dieu, vous effacez les péchés du monde ! miracle de candeur et de modestie, vous permettez à des victimes sorties du néant de vous imiter, de se dévouer pour le salut des pécheurs ! Serviteurs du Christ que le monde persécute, ne vous troublez point à cause du bonheur des méchants : ils n’ont point, il est vrai, de langueurs qui les traînent à la mort ; ils semblent ignorer les tribulations humaines ; ils portent l’orgueil à leur