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LES MARTYRS.

moi sur le Vésuve : il illuminoit de ses feux les plus doux la chaîne des montagnes de Salerne, l’azur de la mer parsemée des voiles blanches des pêcheurs, les îles de Caprée, d’Œnaria et de Prochyta[1], la mer, le cap Misène et Baïes avec tous ses enchantements.

« Des fleurs et des fruits humides de rosée sont moins suaves et moins frais que le paysage de Naples sortant des ombres de la nuit. J’étois toujours surpris en arrivant au portique de me trouver au bord de la mer, car les vagues dans cet endroit faisoient à peine entendre le léger murmure d’une fontaine. En extase devant ce tableau, je m’appuyois contre une colonne, et, sans pensée, sans désir, sans projet, je restois des heures entières à respirer un air délicieux. Le charme étoit si profond qu’il me sembloit que cet air divin transformoit ma propre substance, et qu’avec un plaisir indicible je m’élevois vers le firmament comme un pur esprit. Dieu tout-puissant ! que j’étois loin d’être cette intelligence céleste dégagée des chaînes des passions ! Combien ce corps grossier m’attachoit à la poussière du monde, et que j’étois misérable d’être si sensible aux charmes de la création et de penser si peu au Créateur ! Ah ! tandis que, libre en apparence, je croyois nager dans la lumière, quelque chrétien chargé de fers et plongé pour la foi dans les cachots étoit celui qui abandonnoit véritablement la terre et montoit glorieux dans les rayons du soleil éternel !

« Hélas ! nous poursuivions nos faux plaisirs. Attendre ou chercher une beauté coupable, la voir s’avancer dans une nacelle et nous sourire du milieu des flots, voguer avec elle sur la mer dont nous semions la surface de fleurs, suivre l’enchanteresse au fond de ce bois de myrtes et dans les champs heureux où Virgile plaça l’Élysée, telle étoit l’occupation de nos jours, source intarissable de larmes et de repentir. Peut-être est-il des climats dangereux à la vertu par leur extrême volupté. Et n’est-ce point ce que voulut enseigner une fable ingénieuse en racontant que Parthénope fut bâtie sur le tombeau d’une sirène ? L’éclat velouté de la campagne, la tiède température de l’air, les contours arrondis des montagnes, les molles inflexions des fleuves et des vallées, sont à Naples autant de séductions pour les sens, que tout repose et que rien ne blesse. Le Napolitain, demi-nu, content de se sentir vivre sous les influences d’un ciel propice, refuse de travailler aussitôt qu’il a gagné l’obole qui suffit au pain du jour. Il passe la moitié de sa vie immobile aux rayons du soleil, et l’autre à se faire traîner dans un char en poussant des cris de joie ; la nuit il

  1. Ischia et Procida.