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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 4.djvu/96

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LES MARTYRS.

Métella, chef-d’œuvre de grandeur et d’élégance. En traversant des champs abandonnés, j’aperçus plusieurs personnes qui se glissoient dans l’ombre, et qui toutes, s’arrêtant au même endroit, disparoissoient subitement. Poussé par la curiosité, je m’avance, et j’entre hardiment dans la caverne 26 où s’étoient plongés les mystérieux fantômes : je vis s’allonger devant moi des galeries souterraines, qu’à peine éclairoient, de loin à loin, quelques lampes suspendues. Les murs des corridors funèbres étoient bordés d’un triple rang de cercueils placés les uns au-dessus des autres. La lumière lugubre des lampes, rampant sur les parois des voûtes et se mouvant avec lenteur le long des sépulcres, répandoit une mobilité effrayante sur ces objets éternellement immobiles. En vain, prêtant une oreille attentive, je cherche à saisir quelques sons pour me diriger à travers un abîme de silence, je n’entends que le battement de mon cœur dans le repos absolu de ces lieux. Je voulus retourner en arrière, mais il n’étoit plus temps : je pris une fausse route, et au lieu de sortir du dédale, je m’y enfonçai. De nouvelles avenues, qui s’ouvrent et se croisent de toutes parts, augmentent à chaque instant mes perplexités. Plus je m’efforce de trouver un chemin, plus je m’égare ; tantôt je m’avance avec lenteur, tantôt je passe avec vitesse : alors, par un effet des échos, qui répétoient le bruit de mes pas, je crois entendre marcher précipitamment derrière moi.

« Il y avoit déjà longtemps que j’errois ainsi ; mes forces commençoient à s’épuiser : je m’assis à un carrefour solitaire de la cité des morts. Je regardois avec inquiétude la lumière des lampes presque consumées qui menaçoient de s’éteindre. Tout à coup une harmonie semblable au chœur lointain des esprits célestes sort du fond de ces demeures sépulcrales : ces divins accents expiroient et renaissoient tour à tour ; ils sembloient s’adoucir encore en s’égarant dans les routes tortueuses du souterrain. Je me lève, et je m’avance vers les lieux d’où s’échappent ces magiques concerts : je découvre une salle illuminée. Sur un tombeau paré de fleurs, Marcellin célébroit le mystère des chrétiens ; des jeunes filles, couvertes de voiles blancs, chantoient au pied de l’autel ; une nombreuse assemblée assistoit au sacrifice. Je reconnois les catacombes[a] ! Un mélange de honte, de repentir, de ravissement, s’empare de mon âme. Nouvelle surprise ! Je crois voir l’impératrice et sa fille, entre Dorothée et Sébastien, à genoux au milieu de la foule. Jamais spectacle plus miraculeux n’a frappé l’œil d’un mortel ; jamais Dieu ne fut plus dignement adoré et

  1. Les catacombes de Saint-Sébastien.