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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/132

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cap, et je pris à mon service un Milanais, nommé Joseph, marchand d’étain à Smyrne : cet homme parlait un peu le grec moderne, et il consentit, pour une somme convenue, à me servir d’interprète. Je dis adieu au capitaine, et je descendis avec Joseph dans le caïque. Le vent était violent et contraire. Nous mîmes cinq heures pour gagner le port dont nous n’étions éloignés que d’une demi-lieue, et nous fûmes deux fois près de chavirer. Un vieux Turc à barbe grise, les yeux vifs et enfoncés sous d’épais sourcils, montrant de longues dents extrêmement blanches, tantôt silencieux, tantôt poussant des cris sauvages, tenait le gouvernail : il représentait assez bien le Temps passant dans sa barque un voyageur aux rivages déserts de la Grèce. Le vice-consul m’attendait sur la grève. Nous allâmes loger au bourg des Grecs. Chemin faisant j’admirai des tombeaux turcs qu’ombrageaient de grands cyprès au pied desquels la mer venait se briser. J’aperçus parmi ces tombeaux des femmes enveloppées de voiles blancs, et semblables à des ombres : ce fut la seule chose qui me rappela un peu la patrie des Muses. Le cimetière des chrétiens touche à celui des musulmans : il est délabré, sans pierres sépulcrales et sans arbres ; des melons d’eau qui végètent çà et là sur ces tombes abandonnées ressemblent, par leur forme et leur pâleur, à des crânes humains qu’on ne s’est pas donné la peine d’ensevelir. Rien n’est triste comme ces deux cimetières, où l’on remarque jusque dans l’égalité et l’indépendance de la mort la distinction du tyran et de l’esclave.

L’abbé Barthélemy a trouvé Méthone si peu intéressante dans l’antiquité, qu’il s’est contenté de faire mention de son puits d’eau bitumineuse. Sans gloire au milieu de toutes ces cités bâties par les dieux ou célébrées par les poètes, Méthone ne se retrouve point dans les chants de Pindare, qui forment avec les ouvrages d’Homère les brillantes archives de la Grèce. Démosthène, haranguant pour les Mégalopolitains et rappelant l’histoire de la Messénie, ne parle point de Méthone. Polybe, qui était de Mégalopolis, et qui donne de très bons conseils aux Messéniens, garde le même silence. Plutarque et Diogène Laerce ne citent aucun héros, aucun philosophe de cette ville. Athénée, Aulu-Gelle et Macrobe ne rapportent rien de Méthone. Enfin Pline Ptolémée, Pomponius Méla et l’Anonyme de Ravenne ne font que la nommer dans le dénombrement des villes de la Messénie ; mais Strabon et Pausanias veulent retrouver Méthone dans la Pédase d’Homère. Selon Pausanias, le nom de Méthone ou de Mothone lui vient d’une fille d’Oeneus, compagnon de Diomède, ou d’un rocher qui ferme l’entrée du port. Méthone reparaît assez souvent dans l’histoire ancienne mais jamais pour aucun fait important. Thucydide cite quelques corps d’hoplites