Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/145

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turque : les toits rouges de celle-ci, ses minarets et ses dômes me frappèrent agréablement au premier coup d’œil. Tripolizza est pourtant située dans une partie assez aride du vallon de Tégée, et sous une des croupes du Ménale qui m’a paru dépouillée d’arbres et de verdure. Mon janissaire me conduisit chez un Grec de la connaissance de M. Vial. Le consul, comme je l’ai dit, m’avait donné une lettre pour le pacha. Le lendemain de mon arrivée, 15 août, je me rendis chez le drogman de Son Excellence : je le priai de me faire délivrer le plus tôt possible mon firman de poste et l’ordre nécessaire pour passer l’isthme de Corinthe. Ce drogman, jeune homme d’une figure fine et spirituelle, me répondit en italien que d’abord il était malade, qu’ensuite le pacha venait d’entrer chez ses femmes ; qu’on ne parlait pas comme cela à un pacha ; qu’il fallait attendre ; que les Français étaient toujours pressés.

Je répliquai que je n’avais demandé les firmans que pour la forme ; que mon passeport français me suffisait pour voyager en Turquie, maintenant en paix avec mon pays ; que puisqu’on n’avait pas le temps de m’obliger, je partirais sans les firmans et sans remettre la lettre du consul au pacha.

Je sortis. Deux heures après le drogman me fit rappeler ; je le trouvai plus traitable, soit qu’à mon ton il m’eût pris pour un personnage d’importance, soit qu’il craignît que je ne trouvasse quelque moyen de porter mes plaintes à son maître ; il me dit qu’il allait se rendre chez Sa Grandeur et lui parler de mon affaire.

En effet, deux heures après un Tartare me vint chercher et me conduisit chez le pacha. Son palais est une grande maison de bois, carrée, ayant, au centre, une vaste cour, et des galeries régnant sur les quatre faces de cette cour. On me fit attendre dans une salle où je trouvai des papas et le patriarche de la Morée. Ces prêtres et leur patriarche parlaient beaucoup, et avaient parfaitement les manières déliées et avilies des courtisans grecs sous le Bas-Empire. J’eus lieu de croire, aux mouvements que je remarquai, qu’on me préparait une réception brillante ; cette cérémonie m’embarrassait. Mes vêtements étaient délabrés, mes bottes poudreuses, mes cheveux en désordre, et ma barbe comme celle d’Hector : barba squalida. Je m’étais enveloppé dans mon manteau, et j’avais plutôt l’air d’un soldat qui sort du bivouac que d’un étranger qui se rend à l’audience d’un grand seigneur.

Joseph, qui disait se connaître aux pompes de l’Orient, m’avait forcé de prendre ce manteau : mon habit court lui déplaisait ; lui-même voulut m’accompagner avec le janissaire pour me faire honneur. Il marchait