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Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/180

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au reste, que les Corinthiens ont perdu le goût qu’ils avaient pour les étrangers : tandis que j’examinais un marbre dans une vigne, je fus assailli d’une grêle de pierres ; apparemment que les descendants de Laïs veulent maintenir l’honneur du proverbe.

Lorsque les césars relevaient les murs de Corinthe, et que les temples des dieux sortaient de leurs ruines plus éclatants que jamais, il y avait un ouvrier obscur qui bâtissait en silence un monument resté debout au milieu des débris de la Grèce. Cet ouvrier était un étranger qui disait de lui-même : " J’ai été battu de verges trois fois ; j’ai été lapidé une fois ; j’ai fait naufrage trois fois. J’ai fait quantité de voyages, et j’ai trouvé divers périls sur les fleuves : périls de la part des voleurs, périls de la part de ceux de ma nation, périls de la part des Gentils, périls au milieu des villes, périls au milieu des déserts, périls entre les faux frères ; j’ai souffert toutes sortes de travaux et de fatigues, de fréquentes veilles, la faim et la soif, beaucoup de peines le froid et la nudité. " Cet homme, ignoré des grands, méprisé de la foule, rejeté comme " les balayures du monde, " ne s’associa d’abord que deux compagnons, Crispus et Caïus, avec la famille de Stéphanas : tels furent les architectes inconnus d’un temple indestructible et les premiers fidèles de Corinthe. Le voyageur parcourt des yeux l’emplacement de cette ville célèbre : il ne voit pas un débris des autels du paganisme, mais il aperçoit quelques chapelles chrétiennes qui s’élèvent du milieu des cabanes des Grecs. L’apôtre peut encore donner, du haut du ciel, le salut de paix à ses enfants, et leur dire : " Paul à l’église de Dieu, qui est à Corinthe. "

Il était près de huit heures du matin quand nous partîmes de Corinthe le 21, après une assez bonne nuit. Deux chemins conduisent de Corinthe à Mégare : l’un traverse le mont Géranien, aujourd’hui Palaeo-Vouni (la Vieille-Montagne) ; l’autre côtoie la mer Saronique, le long des roches Scyroniennes. Ce dernier est le plus curieux : c’était le seul connu des anciens voyageurs, car ils ne parlent pas du premier : mais les Turcs ne permettent plus de le suivre, ils ont établi un poste militaire au pied du mont Oneïus, à peu près au milieu de l’isthme, pour être à portée des deux mers : le ressort de la Morée finit là, et l’on ne peut passer la grand’garde sans montrer un ordre exprès du pacha.

Obligé de prendre ainsi le seul chemin laissé libre, il me fallut renoncer aux ruines du temple de Neptune-Isthmien, que Chandler ne put trouver, que Pococke, Spon et Wheler ont vues, et qui subsistent encore, selon le témoignage de M. Fauvel. Par la même raison je n’examinai point la trace des tentatives faites à différentes époques