cinq pieds et demi d’une épaule à l’autre, et la corbeille dont il est couronné s’élève à plus de deux pieds. Spon prétend que cette statue pourrait bien être de Praxitèle : je ne sais sur quoi cette opinion est fondée. Pausanias, par respect pour les mystères, ne décrit pas la statue de Cérès ; Strabon garde le même silence. A la vérité on lit dans Pline que Praxitèle était l’auteur d’une Cérès en marbre et de deux Proserpines en bronze : la première, dont parle aussi Pausanias, ayant été transportée à Rome, ne peut être celle qu’on voyait il y a quelques années à Eleusis ; les deux Proserpines en bronze sont hors de la question. A en juger par le trait que nous avons de cette statue, elle pourrait bien ne représenter qu’une Canéphore 35. Je ne sais si M. Fauvel ne m’a point dit que cette statue, malgré sa réputation, était d’un assez mauvais travail.
Je n’ai donc rien à raconter d’Eleusis après tant de voyageurs, sinon que je me promenai au milieu de ces ruines, que je descendis au port et que je m’arrêtai à contempler le détroit de Salamine. Les fêtes et la gloire étaient passées ; le silence était égal sur la terre et sur la mer : plus d’acclamations, plus de chants, plus de pompes sur le rivage ; plus de cris guerriers, plus de choc de galères, plus de tumulte sur les flots. Mon imagination ne pouvait suffire tantôt à se représenter la procession religieuse d’Eleusis, tantôt à couvrir le rivage de l’armée innombrable des Perses qui regardaient le combat de Salamine. Eleusis est, selon moi, le lieu le plus respectable de la Grèce, puisqu’on y enseignait l’unité de Dieu et que ce lieu fut témoin du plus grand effort que les hommes aient jamais tenté en faveur de la liberté.
Qui le croirait ! Salamine est aujourd’hui presque entièrement effacée du souvenir des Grecs. On a vu ce que m’en disait mon Athénien. " L’île de Salamine n’a point conservé son nom, dit M. Fauvel dans ses Mémoires ; il est oublié avec celui de Thémistocle. " Spon raconte qu’il logea à Salamine chez le papas Iaonnis, " homme, ajoute-t-il, moins ignorant que tous ses paroissiens, puisqu’il savait que l’île s’était autrefois nommée Salamine ; et il nous dit qu’il l’avait su de son père. " Cette indifférence des Grecs touchant leur patrie est aussi déplorable qu’elle est honteuse ; non seulement ils ne savent pas leur histoire, mais ils ignorent presque tous 36 la langue qui fait leur gloire : on a vu un Anglais, poussé d’un saint zèle, vouloir s’établir à Athènes pour y donner des leçons de grec ancien.