Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/192

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Athènes se montrait à moi : ses toits aplatis, entremêlés de minarets, de cyprès, de ruines, de colonnes isolées, les dômes de ses mosquées couronnés par de gros nids de cigognes, faisaient un effet agréable aux rayons du soleil. Mais si l’on reconnaissait encore Athènes à ses débris, on voyait aussi, à l’ensemble de son architecture et au caractère général des monuments, que la ville de Minerve n’était plus habitée par son peuple.

Une enceinte de montagnes, qui se termine à la mer, forme la plaine ou le bassin d’Athènes. Du point où je voyais cette plaine au mont Poecile, elle paraissait divisée en trois bandes ou régions, courant dans une direction parallèle du nord au midi. La première de ces régions, et la plus voisine de moi, était inculte et couverte de bruyères ; la seconde offrait un terrain labouré où l’on venait de faire la moisson ; la troisième présentait un long bois d’oliviers, qui s’étendait un peu circulairement depuis les sources de l’Ilissus, en passant au pied de l’Anchesme, jusque vers le port de Phalère. Le Céphise coule dans cette forêt, qui par sa vieillesse semble descendre de l’olivier que Minerve fit sortir de la terre. L’Ilissus a son lit desséché de l’autre côté d’Athènes, entre le mont Hymette et la ville. La plaine n’est pas parfaitement unie : une petite chaîne de collines détachée du mont Hymette en surmonte le niveau et forme les différentes hauteurs sur lesquelles Athènes plaça peu à peu ses monuments.

Ce n’est pas dans le premier moment d’une émotion très vive que l’on jouit le plus de ses sentiments. Je m’avançais vers Athènes avec une espèce de plaisir qui m’ôtait le pouvoir de la réflexion ; non que j’éprouvasse quelque chose de semblable à ce que j’avais senti à la vue de Lacédémone. Sparte et Athènes ont conservé jusque dans leurs ruines leurs différents caractères : celles de la première sont tristes, graves et solitaires ; celles de la seconde sont riantes, légères, habitées. A l’aspect de la patrie de Lycurgue, toutes les pensées deviennent sérieuses, mâles et profondes ; l’âme, fortifiée, semble s’élever et s’agrandir ; devant la ville de Solon, on est comme enchanté par les prestiges du génie ; on a l’idée de la perfection de l’homme considéré comme un être intelligent et immortel. Les hauts sentiments de la nature humaine prenaient à Athènes quelque chose d’élégant qu’ils n’avaient point à Sparte. L’amour de la patrie et de la liberté n’était point pour les Athéniens un instinct aveugle, mais un sentiment éclairé, fondé sur ce goût du beau dans tous les genres, que le ciel leur avait si libéralement départi ; enfin, en passant des ruines de Lacédémone aux ruines d’Athènes je sentis que j’aurais voulu mourir avec Léonidas et vivre avec Périclès.