Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/211

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belles que les Moraïtes. L’usage où elles sont de se peindre le tour des yeux en bleu et le bout des doigts en rouge est désagréable pour un étranger ; mais comme j’avais vu des femmes avec des perles au nez, que les Iroquois trouvaient cela très galant, et que j’étais tenté moi-même d’aimer assez cette mode, il ne faut pas disputer des goûts. Les femmes d’Athènes ne furent, au reste, jamais très renommées pour leur beauté. On leur reprochait d’aimer le vin. La preuve que leur empire n’avait pas beaucoup de puissance, c’est que presque tous les hommes célèbres d’Athènes furent attachés à des étrangères : Périclès, Sophocle, Socrate, Aristote, et même le divin Platon.

Le 25 nous montâmes à cheval de grand matin ; nous sortîmes de la ville et prîmes la route de Phalère. En approchant de la mer, le terrain s’élève et se termine par des hauteurs dont les sinuosités forment au levant et au couchant les ports de Phalère, de Munychie et du Pirée. Nous découvrîmes sur les dunes de Phalère les racines des murs qui enfermaient le port, et d’autres ruines absolument dégradées : c’étaient peut-être celles des temples de Junon et de Cérès. Aristide avait son petit champ et son tombeau près de ce lieu. Nous descendîmes au port : c’est un bassin rond où la mer repose sur un sable fin ; il pourrait contenir une cinquantaine de bateaux : c’était tout juste le nombre que Ménesthée conduisit à Troie.

Τῳ δ'ἂμα πεντήχοντα μέλαιναι νῆες ἓποντω,
" Il était suivi de cinquante noirs vaisseaux. "

Thésée partit aussi de Phalère pour aller en Crète.

Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
Par vous aurait péri le monstre de la Crète, etc.

Ce ne sont pas toujours de grands vaisseaux et de grands ports qui donnent l’immortalité : Homère et Racine ne laisseront point mourir le nom d’une petite anse et d’une petite barque.

Du port de Phalère nous arrivâmes au port de Munychie. Celui-ci est de forme ovale et un peu plus grand que le premier. Enfin, nous tournâmes l’extrémité d’une colline rocailleuse, et, marchant de cap en cap, nous nous avançâmes vers le Pirée. M. Fauvel m’arrêta dans la courbure que fait une langue de terre, pour me montrer un sépulcre creusé dans le roc ; il n’a plus de voûte, et il est au niveau de la mer. Les flots, par leurs mouvements réguliers, le couvrent et le découvrent,