Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’obtinrent leurs premiers succès parce que l’art militaire était, à l’époque où ils parurent, plus avancé chez les Turcs que chez les chrétiens.

Non seulement on fait l’éducation des soldats de la secte la plus fanatique et la plus brutale qui ait jamais pesé sur la race humaine, mais on les approche de nous. C’est nous, chrétiens, c’est nous qui prêtons des barques aux Arabes et aux nègres de l’Abyssinie pour envahir la chrétienté, comme les derniers empereurs romains transportèrent les Goths des rives du Danube dans le cœur même de l’empire.

C’est en Morée, à la porte de l’Italie et de la France, que l’on établit ce camp d’instruction et de manœuvres ; c’est contre des adorateurs de la Croix qu’on leur livre que les conscrits du turban vont apprendre à faire l’exercice à feu. Etablie sur les ruines de la Grèce antique et sur les cadavres de la Grèce chrétienne, la barbarie enrégimentée menacera la civilisation. On verra ce que sera la Morée lorsque, appuyée sur les Turcs de l’Albanie, de l’Epire et de la Macédoine, elle sera devenue, selon l’expression énergique d’un Grec, une nouvelle régence barbaresque. Les Turcs sont braves, et ils ont derrière eux, sur le champ de bataille, le paradis de Mahomet. Le ciel nous préserve de l’esclavage en guêtres et en uniforme et de la fatalité disciplinée !

Et cette nouvelle régence barbaresque, n’en prenons-nous pas un soin tout particulier ? Nous lui laissons bâtir des vaisseaux à Marseille ; on assure même, ce que nous ne voulons pas croire, qu’on lui cède pour ses constructions des bois de nos chantiers maritimes. D’un autre côté, elle achète aussi des vaisseaux à Londres ; elle aura des bateaux a vapeur, des canons à vapeur, et le reste. Les Turcs ont conservé toute la vigueur de leur férocité native ; on y ajoutera toute la science de l’art perfectionné de la guerre. Vit-on jamais combinaison de choses plus formidable et plus menaçante ?

Qu’on revienne, il est temps encore, à une politique plus généreuse et en même temps plus prévoyante et plus sage. Il n’est donc question, ainsi qu’on l’a dit dans la Note, que d’agir envers la Grèce de la même manière que l’Angleterre a cru devoir agir envers les colonies espagnoles. Elle a traité commercialement ou politiquement avec ces colonies comme États indépendants, et elle n’a point laissé entrevoir qu’elle ferait la guerre à l’Espagne, et elle n’a point fait la guerre à l’Espagne.

Mais le divan, objectera-t-on, ne prendrait pas les choses si bénignement : en vain on éviterait le ton menaçant en lui déclarant la résolution des alliés relative à l’indépendance de la Grèce : ce téméraire conseil serait capable de