Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/400

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fontaines de mortels poisons, et leurs eaux funestes ne portent plus que les maladies et la mort.

" Le Siloé, qui, toujours pur, leur avait offert le trésor de ses ondes appauvri maintenant, roule lentement sur des sables qu’il mouille à peine : quelle ressource, hélas ! l’Eridan débordé, le Gange, le Nil même, lorsqu’il franchit ses rives et couvre l’Égypte de ses eaux fécondes, suffiraient à peine à leurs désirs.
" Dans l’ardeur qui les dévore, leur imagination leur rappelle ces ruisseaux argentés qu’ils ont vus couler au travers des gazons, ces sources qu’ils ont vues jaillir du sein d’un rocher et serpenter dans des prairies : ces tableaux jadis si riants ne servent plus qu’à nourrir leurs regrets et à redoubler leur désespoir.
" Ces robustes guerriers qui ont vaincu la nature et ses obstacles, qui jamais n’ont ployé sous leur pesante armure, que n’ont pu dompter le fer ni l’appareil de la mort, faibles maintenant, sans courage et sans vigueur, pressent la terre de leur poids inutile : un feu secret circule dans leurs veines, les mine et les consume.
" Le coursier, jadis si fier, languit auprès d’une herbe aride et sans saveur ; ses pieds chancellent, sa tête superbe tombe négligemment penchée ; il ne sent plus l’aiguillon de la gloire, il ne se souvient plus des palmes qu’il a cueillies : ces riches dépouilles dont il était autrefois si orgueilleux ne sont plus pour lui qu’un odieux et vil fardeau.
" Le chien fidèle oublie son maître et son asile ; il languit étendu sur la poussière, et, toujours haletant, il cherche en vain à calmer le feu dont il est embrasé : l’air lourd et brûlant pèse sur les poumons qu’il devait rafraîchir. "

Voilà de la grande, de la haute poésie. Cette peinture, si bien imitée dans Paul et Virginie, a le double mérite de convenir au ciel de la Judée et d’être fondée sur l’histoire : les chrétiens éprouvèrent une pareille sécheresse au siège de Jérusalem. Robert nous en a laissé une description que je ferai connaître aux lecteurs.

Au quatorzième chant, nous chercherons un fleuve qui coule auprès d’Ascalon, et au fond duquel demeure l’ermite qui révéla à Ubalde et au chevalier danois les destinées de Renaud. Ce fleuve est le torrent d’Ascalon ou un autre torrent plus au nord, qui n’a été connu qu’au temps des croisades, comme le témoigne d’Anville.

Quant à la navigation des deux chevaliers, l’ordre géographique y est merveilleusement suivi. Partant d’un port entre Jaffa et Ascalon et descendant vers l’Égypte, ils durent voir successivement Ascalon, Gaza, Raphia et Damiette. Le poète marque la route au couchant, quoiqu’