Page:Chateaubriand - Œuvres complètes, éd. Garnier, 1861, tome 5.djvu/412

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Entrez dans la ville, rien ne vous consolera de la tristesse extérieure : vous vous égarez dans de petites rues non pavées, qui montent et descendent sur un sol inégal, et vous marchez dans des flots de poussière ou parmi des cailloux roulants. Des toiles jetées d’une maison à l’autre augmentent l’obscurité de ce labyrinthe, des bazars voûtés et infects achèvent d’ôter la lumière à la ville désolée, quelques chétives boutiques n’étalent aux yeux que la misère, et souvent ces boutiques mêmes sont fermées dans la crainte du passage d’un cadi. Personne dans les rues, personne aux portes de la ville ; quelquefois seulement un paysan se glisse dans l’ombre, cachant sous ses habits les fruits de son labeur, dans la crainte d’être dépouillé par le soldat ; dans un coin à l’écart, le boucher arabe égorge quelque bête suspendue par les pieds à un mur en ruine : à l’air hagard et féroce de cet homme, à ses bras ensanglantés, vous croiriez qu’il vient plutôt de tuer son semblable que d’immoler un agneau. Pour tout bruit, dans la cité déicide, on entend par intervalles le galop de la cavale du désert : c’est le janissaire qui apporte la tête du Bedouin ou qui va piller le Fellah.

Au milieu de cette désolation extraordinaire, il faut s’arrêter un moment pour contempler des choses plus extraordinaires encore. Parmi les ruines de Jérusalem, deux espèces de peuples indépendants trouvent dans leur foi de quoi surmonter tant d’horreurs et de misères. Là vivent des religieux chrétiens que rien ne peut forcer à abandonner le tombeau de Jésus-Christ, ni spoliations, ni mauvais traitements, ni menaces de la mort. Leurs cantiques retentissent nuit et jour autour du Saint-Sépulcre. Dépouillés le matin par un gouverneur turc, le soir les retrouve au pied du Calvaire, priant au lieu où Jésus-Christ souffrit pour le salut des hommes. Leur front est serein, leur bouche est riante. Ils reçoivent l’étranger avec joie. Sans forces et sans soldats, ils protègent des villages entiers contre l’iniquité. Pressés par le bâton et par le sabre, les femmes, les enfants, les troupeaux se réfugient dans les cloîtres de ces solitaires. Qui empêche le méchant armé de poursuivre sa proie et de renverser d’aussi faibles remparts ? La charité des moines ; ils se privent des dernières ressources de la vie pour racheter leurs suppliants. Turcs, Arabes, Grecs, chrétiens, schismatiques, tous se jettent sous la protection de quelques pauvres religieux, qui ne peuvent se défendre eux-mêmes. C’est ici qu’il faut reconnaître, avec Bossuet, " que des mains levées vers le ciel enfoncent plus de bataillons que des mains armées de javelots ".

Tandis que la nouvelle Jérusalem sort ainsi du désert brillante de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le Temple, voyez cet